À l'heure où certains pans de la gauche radicale, comme le journal Politis, se demandent si le racisme est devenu "légal", d'autres essaient d'établir des ponts avec des mouvements se revendiquant de "l'antiracisme politique", non sans qu'il y ait des tensions sur d'éventuelles alliances pour 2017 et au-delà.
Il y avait bien une centaine de personnes rassemblées dans une petite salle dans le 11e arrondissement de Paris, jeudi 10 novembre, pour une réunion intitulée "Antiracisme politique & gauche radicale: les conditions d'une alliance", organisée par l'Union juive française pour la paix. Des militants à des partis politiques (Parti communiste français, Ensemble!, Nouveau parti anticapitaliste, Parti des indigènes de la République etc.) et des militants antiracistes se sont joints, le temps d'une soirée, pour voir si un cheminement vers une alliance peut se dessiner ou pas.
Incompréhension, rendez-vous manqués
D'abord, il est bon de savoir ce qui empêche tout rassemblement des antiracistes politiques, comme ils s'appellent, et la gauche radicale, qui se réclame du socialisme (sens marxiste du terme), du communisme, de l'anarchisme. Plusieurs raisons peuvent être avancées:
- Pour Laurent Lévy, militant à Ensemble!, ça repose sur l'incompréhension, l'absence d'écoute de chaque côté, qui nourrit des "sous-entendus, procès d'intention" parce qu'il n'y a pas de traducteurs, d'interprètes des pensées de part et d'autre. Or, en laissant traîner ce problème, ça rend le boulot "infernal" à faire.
- Les caciques des partis de gauche (radicale) sont paralysés sur la question du racisme, selon René Monzat, militant antiraciste intervenant à la tribune. L'exemple du burkini, durant l'été dernier, montre à quel point la gauche est restée tiraillée par ce sujet, ainsi que sur le camp d'été décolonial. Puis les cadres des partis, tels le PCF, s'opposent à des initiatives de leur base, comme le rappelle Deniz Cumendur, militant au Mouvement des jeunes communistes à Bobigny (Seine-Saint-Denis), qui eut droit à des reproches du parti par rapport à des projections de films sur la Palestine ayant tourné à des échauffourées avec des personnes proches de Jean-Christophe Lagarde, député-maire UDI de la ville, selon lui.
- Le passé et les occasions manquées de réconcilier les jeunes Français "racisés", fils de prolos "racisés", avec la gauche radicale, selon Houria Bouteldja, porte-parole du PIR. Elle cite le cas de Tariq Ramadan, islamologue accusé de tenir un double discours, qui est écouté par cette jeunesse de confession musulmane et aux racines prolétaires ancrées, mais recevant un "tir de barrages de la gauche au Forum social européen en 2000-2001", selon elle. Puis le cas Dieudonné. Ce qui a fait hurler la salle car elle estime qu'en 2005, au moment où Dieudonné est censuré à l'Olympia, il attirait les jeunes afro-descendants et n'était pas récupéré par Alain Soral et l'extrême-droite. Or, en 2004, dans l'émission Tout le monde en parle, l'humoriste indique face à Thierry Ardisson que Soral "est un copain, est un républicain (...) un libre-penseur un peu trash, un peu punk" et qu'il le soutenait déjà à l'époque.
- Le mouvement antiraciste politique, tel qu'il s'affirme, notamment avec le PIR et Bouteldja, rend des militants de gauche réticents à se retrouver dans des manifs avec le PIR, vu qu'il a très mauvaise presse. L'exemple de la marche de la dignité du 31 octobre 2015 est significatif sur ce point.
- Enfin, il y a un racisme présent à gauche, qu'il ne faut pas oublier. Et en cela, Catherine Samary, militante à Ensemble! et Houria Bouteldja se rejoignent. Et ce racisme traduit l'idée d'une "blanchité" qui serait la plus à-même d'apporter la Raison et le Progrès; en droite ligne d'un fraternalisme qu'Aimé Césaire dénonçait, il y a 60 ans de cela, dans sa Lettre à Maurice Thorez. De même selon Omar Slaouti, ancien militant du NPA, la gauche radicale vit dans le déni ou la sous-estimation, prenant l'exemple des réfugiés de ces derniers mois, où la parole raciste s'est déchainée sans que la gauche radicale développe une forte opposition, au moins sur la rhétorique.
Recomposition à gauche
Maintenant que le diagnostic est là, plus ou moins partagé, comment arriver à une convergence des esprits, à l'heure où l'élection de Trump à la présidence des États-Unis montre un sursaut des États-unien(ne)s blanc(he)s, qui pourrait inspirer le Front national pour 2017? Dans un premier temps, éviter toute essentialisation. Pour Lévy, les militants antiracistes doivent faire attention à ne pas essentialiser les militants de gauche, surtout s'ils sont blancs. À l'inverse, Slaouti appelle aux militants de gauche à ne pas essentialiser non plus l'antiracisme politique autour du PIR, de Bouteldja, et des polémiques que ça génère dans la presse. Car au bout, ça génère un "sectarisme du privilège blanc qui est mortifère" (Lévy). De même que la critique de la religion ne doit pas mener à un laïcisme qui ne peut que faire fuir des personnes pourtant sensibles à l'idée de l'égalité, de l'internationalisme, etc.
Dans un second temps, une recomposition à gauche sera nécessaire selon Slaouti, car la situation actuelle y pousse, avec l'explosion du Front de gauche, dûe aux bisbilles du PCF avec la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Le principal axe à défendre serait l'égalité, permettant de déplier vers plusieurs problématiques que les mouvements sociaux peuvent reprendre, comme l'exemple des interventions d'Amal Bentounsi, membre du collectif "Urgence notre police assassine" à Nuit Debout sur les violences policières. Quelque part, il faudrait une dynamique autour de l'intersectionnalité des luttes, qui rime avec égalité, et pourrait éviter de minorer bien des combats. Toujours est-il que les références intellectuelles ne manquent pas, C.L.R James par exemple, pour que la gauche (radicale) ne reste plus dans ce flou qui la condamne à l'errance avec les mouvements sociaux, dont l'antiracisme politique. Mais le chemin reste long et semé d'embûches.