La victoire face à la Nouvelle-Zélande, concluant magistralement la tournée d'automne 2021, ouvre des perspectives de conquêtes pour un jeune XV de France façonné par un Fabien Galthié qui a changé son approche du jeu suite au Tournoi des VI Nations du printemps dernier. Un problème de riche à moins de deux ans de la Coupe du monde.
"French flair is back!" Ce serait un bon résumé de la tournée d'automne du XV de France, mais surtout de la victoire méritée face à la Nouvelle-Zélande, samedi 20 novembre au stade de France, 40-25, tant les Bleus ont dominé de la tête et des épaules les All Blacks, si on fait exception des 20 premières minutes de la seconde mi-temps, où ces derniers, menés 24-6 à la pause, étaient revenus à 27-25 au moment des 20 dernières minutes. Et c'est là que l'expression "French flair", utilisée par les anglo-saxons pour désigner un jeu à la française, fait d'inspiration et de mouvements à la main, a repris son sens avec Romain Ntamack, sous pression dans son en-but, qui parvient à éviter deux adversaires et d'effectuer une relance à la main, relayé par Melvyn Jaminet puis Antoine Dupont, remontant jusqu'aux 22 mètres néo-zélandais. Même s'il n'y a pas eu d'essai au bout avec Cameron Woki, ce dernier obligea Ardie Savea à faire faute et à se prendre un carton jaune, offrant une pénalité facile pour Jaminet et 10 minutes de supériorité numérique pour la France. Un moment décisif car durant cette période de supériorité, Damian Penaud intercepta un ballon All Black et fila dans l'en-but, scellant pour de bon l'issue du match côté français. Une première victoire depuis 2009 et une première victoire contre les All Blacks sur le sol français depuis l'an 2000.
Adaptation tactique, stratégique
Cette victoire, avec la manière, face à la référence du rugby international, ne peut que servir de match référence pour un XV de France qui était attendu au tournant par rapport à ce match, d'autant plus que les néo-zélandais arrivaient revanchards après avoir été battus une semaine plus tôt en Irlande par le XV du Trèfle. Et le mérite des joueurs est également celui du sélectionneur Fabien Galthié, qui avait opté lors des deux premiers matchs de la tournée, contre l'Argentine et la Géorgie, pour une tactique digne de l'Angleterre en mettant Mathieu Jalibert à l'ouverture, aux côtés de Dupont, demi de mêlée et capitaine pour cette tournée en l'absence du troisième-ligne Charles Ollivon, et en décalant Ntamack comme 3/4 centre, dans un rôle de 5/8e (deuxième ouvreur, pour résumer grossièrement). Mais cette association n'a pas complètement bien marché et considérant que la densité sera décisive face aux All Blacks, il a opté pour la titularisation de Jonathan Danty comme 3/4 centre, aux côtés de Gaël Fickou, et le replacement de Ntamack à l'ouverture, retrouvant son partenaire de club Dupont. Et vu la prestation individuelle et collective des joueurs, Galthié peut estimer avoir eu raison.
Mais cette approche tactique sur ce match est un élément qui se greffe dans une nouvelle direction stratégique. Jusqu'au Tournoi des VI Nations 2021, Galthié misait sur un jeu de dépossession, avec une utilisation frénétique du jeu au pied pour mettre en difficulté les équipes adverses et occuper le terrain. Mais avec les frustrations du tournoi, notamment les défaites en Angleterre et contre l'Écosse dans les dernières minutes, plus des changements dans les règles du jeu, Galthié a revu sa copie, privilégiant désormais un jeu de possession, avec de la mobilité et peut-être moins de densité physique, et surtout moins de jeu au pied, histoire de garder un maximum de temps le ballon et d'en priver l'adversaire.
Étant donné le succès de cette tournée d'automne, il est évident que le XV de France fait figure de grand favori pour gagner le Tournoi des VI Nations l'an prochain, voire de faire le Grand Chelem. Ce qui serait une première depuis 2010. Et vu l'effectif mobilisé depuis sa prise de fonctions, Galthié a un problème de riche. Notamment à des postes clés dans l'épine dorsale 2-8-9-10-15. Au talonnage, si Julien Marchand semble rester le premier choix, Peato Mauvaka a marqué les esprits avec cinq essais durant ces trois matchs automnaux, dont deux contre les All Blacks. Au poste de troisième-ligne centre, Grégory Alldritt semble avoir retrouvé le niveau qui fut le sien en 2020 lors de cette apothéose contre la Nouvelle-Zélande, reléguant Anthony Jelonch à une place plutôt comme troisième-ligne aile. Du côté de la charnière, la question est: "Qui va être aux côtés de Dupont?" Entre Jalibert et Ntamack, les deux sont de très haut niveau, même si le second a une (petite) longueur d'avance car coéquipier de Dupont en club et premier choix de Galthié à l'ouverture lors du Tournoi 2020. Mais ils sont de niveaux très proches tout en ayant des caractéristiques fort différentes - Jalibert l'instinctif, chercheur d'intervalles vs Ntamack le stratège, défensif - et contribuent à l'effort collectif. Enfin, au poste d'arrière, si c'était le néophyte Anthony Boutier lors du Tournoi 2020, puis le revenant Brice Dulin depuis la tournée d'automne 2020, c'est désormais Jaminet qui est installé à ce poste depuis la tournée d'été en Australie en juin dernier, où il a commencé sa carrière internationale. Et son avantage comparatif est qu'il est le botteur numéro 1 (pénalités, transformations), avec un taux de réussite au pied légèrement supérieur à 90% depuis son premier match en bleu, en Australie. Ce qui est juste exceptionnel au niveau international. D'ailleurs, il a eu un 100% de réussite au pied face aux All Blacks.
En-dehors de ces postes-clés, d'autres postes fournissent un problème de riche pour Galthié, à l'idée du Tournoi et à plus longue échéance, de la Coupe du monde de rugby 2023. En deuxième-ligne, par exemple, l'absence de Bernard Le Roux et de sa puissance, notamment pour les plaquages, a été compensée par la mobilité de Thibaud Flament ou de Woki, sachant que ce dernier est habituellement un troisième-ligne aile mis dans "la cage" car il est un sauteur imposant lors des lancers en touche. Le retour de François Cros en troisième-ligne aile plaqueur/gratteur et l'attente du retour d'Ollivon, le capitaine, font que la concurrence est rude entre Cros, Woki, Jelonch, Dylan Cretin ou encore Sekou Macalou. Enfin, au poste de 3/4 centre, Danty n'a pas démérité aux côtés de Fickou, mais est-ce suffisant pour pallier les absences de Virimi Vakatawa et d'Arthur Vincent, blessés?
Voilà de bons casses-têtes pour Galthié pour l'avenir.