Le modèle économique de la presse, française ou internationale, est tellement vu comme obsolète qu'il pourrait tuer cette dite presse, en plus du rôle ambigu d'Internet depuis les années 90.
Même si le proverbe "à chaque chose, malheur est bon" reflète un côté pervers, il en garde du sens de nos jours. Les événements du début d'année, notamment l'attaque mortelle contre la rédaction de Charlie Hebdo, n'ont pas que des aspects négatifs. Le journal satirique, payant le prix fort avec plusieurs membres de sa rédaction morts, a repris son rythme hebdomadaire, mais avec une notoriété qui lui était étrangère auprès du grand public. D'ailleurs, il se retrouve avec 200.000 abonnés (mais pour beaucoup, des abonnements pour 3 mois), contre 10.000 auparavant, et il affiche désormais une santé économique miraculeuse, grâce au numéro qui a suivi l'attentat, vendu à plusieurs millions d'exemplaires, dans la mesure où avant l'attentat, il était menacé de disparaître à cause de ses difficultés financières.
Une presse dans le rouge
Comme le rappelle justement le mensuel Alternatives Économiques, dans son numéro 344 de ce mois-ci, le cas de Charlie Hebdo avant le 7 janvier n'est pas unique en son genre. Plusieurs journaux sont dans le rouge, et affichent de nombreuses difficultés à joindre les deux bouts, tels le quotidien Libération, le quotidien l'Humanité, l'hebdomadaire Politis, le quotidien régional Nice-Matin, L'Obs, L'Express, Alternatives Économiques lui-même, et même les deux journaux les plus lus en France, Le Monde et Le Figaro.
La principale cause de cette crise de la presse est que le lectorat se détache du papier, de manière continue depuis plusieurs années. Surtout pour les quotidiens. Les hebdomadaires, magazines ont fourni davantage de résistance mais la crise depuis 2008 ne leur a pas fait de cadeau. Il faut ajouter à cela un facteur de défiance du lectorat envers les journalistes, comme l'indique un sondage Ipsos réalisé l'an dernier, puis Internet. Ce dernier joue à la fois le rôle de bourreau et d'ange gardien de la presse. Bourreau, car plusieurs journaux ont cessé d'exister en version papier (France-Soir, Newsweek, etc.) et ange gardien car des journaux en ligne ont vu le jour (Mediapart, Rue89, etc.) et des anciens journaux papier se sont tournés vers le numérique pour continuer d'exister (La Tribune).
Une presse dépendante
Vu l'état déplorable de la presse, pour que des titres prestigieux ne ferment pas boutique, des plans de restructuration (comprenez suppression de postes de journaliste) s'organisent dans les rédactions. Et ce, parfois sous la pression des repreneurs. Libé, par exemple, a viré plusieurs dizaines de journalistes, suite à la reprise du quotidien de centre-gauche par les hommes d'affaires Bruno Ledoux et Patrick Drahi. Ce dernier ayant racheté par ailleurs les journaux L'Express et L'Expansion. On assiste à une tendance au contrôle des journaux par des affairistes (Bernard Arnault avec Les Échos, Serge Dassault avec Le Figaro), des banquiers (Mathieu Pigasse, actionnaire du Monde, propriétaire de l'hebdo Les Inrockuptibles), et de moins en moins par des personnes de la presse elles-mêmes. Bref, le doute est permis sur la qualité de l'information, qui doit être aussi rapide que la vision court-termiste, donc dangereuse comme partout ailleurs, de ces patrons de journaux pour avoir du profit.
Une autre dépendance est celle liée à Internet et à ce que l'auteur de l'article paru dans Alternatives Économiques appelle "les infomédiaires". C'est-à-dire, les géants de l'informatique, notamment Google et Facebook. Comme les journaux papier, qu'ils soient nationaux ou régionaux, ont leur propre site, ils se tirent la bourre entre eux, et avec les journaux en ligne, pour avoir le meilleur référencement possible sur Google. Le moteur de recherche Américain concentre 90% des recherches en ligne en France. Une situation monopolistique rêvée! Du coup, le profit de cette concurrence des journaux sur Internet va être majoritairement absorbé par Google, ou par Facebook, qui applique des méthodes similaires pour l'alimentation du réseau social en matière d'information hiérarchisée. Sans même devoir en créer! De sacrées économies réalisées en fait!
Autre cas problématique, la question des aides publiques. La Cour des comptes, dans un rapport publié en septembre 2013 faisait état d'une hausse des dépenses publiques pour soutenir ce secteur entre 2008 et 2013. L'institution en appelle à une coupe dans ces dépenses, mais aussi à une modification de la répartition de ces aides, en faveur de la presse d'Information politique et générale, puisque d'après les données du ministère de la Culture, parmi les 200 titres de presse les plus aidés en 2013, bon nombre d'entre eux sont issus de la presse "people" (Gala, VSD, Voici, Ici Paris) reçoivent plus d'aides que des journaux tels La Tribune, L'Opinion, Alternatives Économiques, Politis, ou Le Monde Diplomatique.
Une presse moins diversifiée
Il y a un point sur lequel l'auteur (que je connais personnellement) de cet article d'Alter éco n'évoque pas, c'est la question du recrutement. Pour rentrer dans une rédaction, devenir journaliste, il faut de plus en plus passer par la case "école de journalisme". Et les journaux sont friands de jeunes diplômés qui sortent de cette sphère, formatés de telle manière à ce qu'ils puissent se poser dans un journal, en sachant écrire vite un article. Problème, ça ne veut pas forcément dire: connaissance fondamentale d'un sujet d'actualité (économie, sciences, droit, politique, etc.), c'est même parfois un survol. Or, par le passé, les recrutements étaient plus larges, avec notamment des diplômés d'université, qui ont une spécialité et une forte connaissance théorique qu'ils peuvent faire expliquer au lectorat de manière simple.
Je parle en connaissance de cause, chers lecteurs, puisque je suis diplômé en économie (Master 2 => Bac +5), que je connais des mécanismes de pensée et de pratique que je peux relayer plus efficacement en étant journaliste économique qu'un diplômé d'école de journalisme qui cherche à faire des articles sur l'économie sans avoir eu de connaissances approfondies.
Par ailleurs, et c'est plus polémique sans doute, j'ai constaté dans les rédactions, un manque de diversité raciale, une forte représentation de journalistes blanc(he)s. Je ne veux pas dire que les journaux, et ceux qui les dirigent, sont foncièrement racistes, mais ce que je peux dire, c'est qu'une plus forte présence de confrères d'origine africaine, maghrébine ou asiatique par exemple, ne pourrait pas faire de mal. Certains, lisant cela, supposeraient que je serais partisan de la discrimination positive. Ce n'est pas ça, mon but. Ce que je défends, c'est une certaine égalité des chances, faisant plus de place au mérite. Mais j'ai l'impression de faire un vœu pieux, hélas!