L'arrêt Bosman, dont c'est l'anniversaire ce 15 décembre, marque l'embourgeoisement du football et la domination de quelques clubs, renvoyant aux calendes grecques la notion d'incertitude.
Ce 15 décembre 2015 correspond au vingtième anniversaire de l’arrêt Bosman. Cette jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, actuelle Cour de justice de l’Union européenne, fit suite au litige opposant le joueur de football belge Jean-Marc Bosman à son club, le FC Liège. Ce dernier refusait à ce que Bosman parte jouer à Dunkerque gratuitement, alors que le contrat du joueur était terminé. Le joueur porta l’affaire en justice et la Cour lui donna raison, considérant que l’Union des associations européennes de football (UEFA) devait revoir ses règlements, en vertu de l’article 39 du traité de Rome à propos de la liberté des travailleurs. Et comme cette décision tomba durant la saison 1995-1996, il fallut attendre la saison 1996-1997 pour voir son application dans l’ensemble des pays de l’Union européenne d’alors, plus ceux qui rejoindront l'espace communautaire dans les années 2000.
Une fausse concurrence
L'arrêt Bosman fut une étape décisive dans la libéralisation à outrance du football. Dans les années 1980, des hommes d’affaires s’intéressent de plus en plus au ballon rond, en raison de sa popularité, unique au monde, des revenus qu’il puisse générer et de l’image de marque qu’il porte. C’était encore un temps où les clubs comptaient peu de joueurs étrangers dans leurs rangs, en raison des quotas de l’UEFA. Les niveaux des championnats étaient peu ou prou équivalents et au niveau européen, la concurrence était alors rude à l'époque. Y compris celle des clubs des pays de l’Est, comme le rappela le journaliste sportif Didier Roustan dans une de ses vidéos. Mais voilà, avec la chute de l'Union soviétique, de la Yougoslavie, puis cet arrêt Bosman, au nom de la liberté de circulation des personnes, au nom de la concurrence « libre et non faussée », on en arrive à la constitution d’un oligopole, d’un cartel ultra-dominateur de clubs issus de quatre pays (Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni). Au niveau de la Ligue des champions, seule l’édition 2003-2004 a échappé à un club de ces quatre nations. Le FC Porto (Portugal) fut vainqueur cette année-là, suite à une finale face à l’AS Monaco (France).
L’exemple des victoires en Ligue des champions montre à quel point cette compétition est verrouillée et cette impression de rengaine permanente se retrouve également dans les championnats nationaux. Par exemple, la Premier league anglaise se joue depuis 20 ans entre quatre à cinq clubs (Manchester United, Manchester City, Arsenal, Chelsea, Liverpool). Le championnat français, quant à lui, fut plus concurrentiel sur les 20 dernières années car hormis la période dominatrice de l’Olympique Lyonnais dans les années 2000, ou du Paris Saint-Germain de nos jours, ça changeait souvent de champion d’une année sur l’autre.
L'argent permet tout
Comme les joueurs européens peuvent aller n’importe où, ils vont aller là où ça va leur rapporter le plus au niveau financier, dans un calcul purement individuel et individualiste, sans avoir de garantie de temps de jeu. Le résultat, c’est une arrivée massive de joueurs considérés comme talentueux, et de plus en plus tôt, vers l’Angleterre puisque les clubs d’outre-Manche ont été les initiateurs de la libéralisation du football et par ce fait, ils gardent une longueur d’avance au niveau financier et fiscal. Bien sûr, cela dévalorise les autres championnats, notamment en France. Depuis plusieurs années, les présidents des clubs français se plaignent d’avoir « trop de charges sociales », une fiscalité trop contraignante avec en outre, un organisme de contrôle des comptes (Direction nationale du contrôle de gestion – DNCG) draconien, qui n’a pas d’équivalent dans les autres pays et que les pouvoirs publics suppriment des (rares) armes fiscales (Droit à l’image collective), leur permettant de convaincre d’attirer des joueurs étrangers ou de garder les meilleurs joueurs français.
Autre élément, dans cette concentration de trophées autour de quelques clubs, c’est leur rémunération par les droits télé. Et là encore, Albion a frappé un grand coup car à partir de la saison 2016-2017 (jusqu’en 2018-2019), la télévision anglaise versera plus d’un milliard d’euros aux clubs de Premier league. Sans compter les dizaines de millions d’euros versés par les chaînes européennes, américaines ou encore asiatiques, comme l’indiqua le quotidien sportif l’Équipe, dans son édition du 27 novembre. Avec une telle manne financière, les observateurs avisés du ballon rond s’attendent à une future domination des clubs anglais sur les compétitions européennes durant cette prochaine période, de même que ça amplifiera l’appel à l’exode des meilleurs joueurs des autres championnats. Enfin, les clubs anglais sont possédés soit par des États-uniens (la famille Glazer à Manchester United, le consortium New England Sports Ventures à Liverpool, Stan Kroenke en partie à Arsenal), des Russes (Roman Abramovitch à Chelsea, Alicher Ousmanov en partie à Arsenal) ou des pays du Golfe (fonds d’investissement d’Abu Dhabi à Manchester City). Un modèle appelé à faire des petits en Europe, comme l’a démontré le PSG avec le fonds d’investissement du Qatar qui possède le club depuis 2011.
Un foot embourgeoisé
L’une des conséquences les plus visibles de la spirale inflationniste de l’économie du football ces 20 dernières années est l’embourgeoisement de ce sport. Tout d’abord, du côté des joueurs. Sans compter les revenus publicitaires, ils font désormais partie des 1% des revenus les plus riches. Mais comme ça arrive de plus en plus tôt et soudainement, des têtes peuvent tourner, à moins d’être bien entouré. Ce qui n’est pas une évidence tellement les footballeurs sont médiatisés et que tout dérapage leur sera reproché avec acharnement. Ensuite, c’est dans les stades que l’embourgeoisement est manifeste. À force d’être endettés, les clubs songent à devoir se mettre en raccord avec leur politique hyper-inflationniste, pour espérer équilibrer leurs comptes. Alors, les tickets et abonnements au stade sont revus à la hausse. À tel point que nombre de supporters prolétaires ne peuvent plus se permettre d’aller supporter leur club de cœur à domicile. D’aucuns diront que c’est parmi les milieux populaires que naquit le hooliganisme. Mais derrière ce motif sécuritaire, il y a une sanction sociale qui s’applique de facto. Ces derniers mois, plusieurs supporters parisiens ont affirmé qu’ils ne pourront plus aller au Parc des princes supporter le PSG, le tarif leur paraissant prohibitif. Mais ça gêne de moins en moins les clubs, qui préfèrent les footix, ces supporters dociles, à la culture footballistique très courte.
Autre conséquence de la libéralisation du foot, c’est le rapport avec les équipes nationales qui en est modifié. Les sélections sont de plus en plus pointées du doigt par les clubs parce que ces derniers craignent que leurs meilleurs joueurs reviennent blessés de matchs internationaux et qu’ils ne veulent pas payer les frais. Par ailleurs, la proportion de joueurs étrangers dans un championnat ne fait pas forcément le bonheur de l’équipe nationale du dit championnat. Encore une fois, l’Angleterre montre l’exemple puisque comme ce sont les meilleurs joueurs étrangers qui viennent en Angleterre, ils ont souvent plus de probabilité de jouer que les meilleurs anglais, parfois en manque de temps de jeu. Ce qui n’est pas sans conséquence pour l’équipe d’Angleterre, qui collectionne les résultats en dents de scie (non-qualification à l’Euro 2008 ; 1/8 de finale à la Coupe du monde 2010 ; 1/4 de finale à l’Euro 2012 ; phase de poules à la Coupe du monde 2014).