Depuis la sortie des britanniques de l'Union européenne, la question d'un Frexit se pose en France. Et surtout, peut-il se faire par la gauche? "C'est possible", pensent Stathis Kouvélakis et Aurélien Bernier, sous différentes conditions.
Samedi 26 novembre, quelques militants de gauche radicale, autour du collectif "Frexit: nous aussi on veut un référendum" s'étaient rassemblés à Nanterre, pour débattre sur l'organisation d'une sortie de la France de l'euro et de l'Union européenne (UE), à l'instar du Royaume-Uni en juin 2016. Bref, mener à un Frexit, mais de gauche, à l'heure où la gauche française demeure affaiblie par la présidence de François Hollande et s'attend à une humiliation historique lors de la présidentielle de 2017. Pour Stathis Kouvélakis et Aurélien Bernier, l'une des raisons est le mutisme de la gauche radicale sur l'UE, pourtant vue comme "un verrou de la politique néo-libérale".
Couple austérité-euro
De par son expérience au sein du parti de gauche radicale Syriza, Kouvélakis tient à alerter les esprits sur l'impossibilité d'une réforme de l'UE "de l'intérieur", chère au Parti communiste depuis la fin des années 1990, ainsi que l'arrêt des politiques d'austérité dans le cadre de la zone euro. Pour lui, l'euro et l'austérité font bon ménage et c'est un couple chargé de détruire la gauche radicale. Kouvélakis militait, comme d'autres membres de l'aile gauche de Syriza durant l'été 2015 pour une sortie de l'euro. Mais Alexis Tsípras et l'ensemble de la direction du parti n'en a eu cure car son "recentrage" était acté depuis 2012, le transformant peu à peu en nouveau Pasok.
Remettre de la souveraineté
L'un des constats faits par les deux orateurs est que l'UE, cet instrument hybride (du supra-national s'articulant aux nations membres) a fait perdre tout contrôle par le peuple, notamment sur la politique économique (répartition de l'activité économique, degré d'intervention de l'État, regard sur la politique de la Banque centrale européenne, etc.). Tant pour Kouvélakis que pour Bernier, une sortie de l'UE par la gauche doit s'accompagner d'une remise en place de la souveraineté populaire. Par exemple, l'essayiste français souhaite restaurer la primauté du droit national sur le droit communautaire. Mais cette souveraineté ne doit pas se confondre avec le souverainisme, un concept qui s'assimile en France à un dépassement du clivage gauche/droite, et donc à un refus de la lutte des classes, auxquels certains certains politiciens et économistes historiquement ancrés à gauche (Jean-Pierre Chevènement, Jacques Sapir, etc.) sont tentés, au nom de la lutte contre l'UE néo-libérale. Pour Kouvélakis, en particulier, la remise en avant de la souveraineté par la gauche radicale pourrait s'inspirer de la gauche latino-américaine, qui mêle patriotisme et internationalisme sans trop de problème idéologique, même si cette gauche latino-américaine connait des difficultés depuis 2015.
Mais un Frexit de gauche se doit d'être en rupture avec la logique libérale qui est en adaptation permanente. Ce qui signifie, pour le professeur grec au King's College de Londres, remettre en question la légitimité de la dette avec une cessation de paiement à prévoir, planifier un contrôle des capitaux, faire de la relance budgétaire, nationaliser le système bancaire, etc. Mais cela peut différer selon les pays et leurs degrés de difficulté.
Fonder un nouvel ordre international
Pour Bernier, un Frexit est l'occasion d'aller beaucoup plus loin au niveau politique. En particulier envers la mondialisation, qu'il critique abondamment dans son dernier ouvrage, La démondialisation ou le chaos. Et ce, dans le but de fonder un nouvel ordre international. Bernier estime qu'une sortie de l'UE doit pousser la France à une sortie de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), de même qu'une modification de la politique extérieure, jugée trop atlantiste, doit s'opérer (sortie de l'Otan).
Mais il reconnait que sortir de l'UE et de l'OMC n'est pas suffisant pour faire respirer l'économie française. Du coup, Bernier envisage un contrôle sur les firmes multinationales (FMN) françaises, afin de "remettre de la politique là où les libéraux l'avaient supprimée". Notamment auprès des pays d'Afrique francophone, où les FMN françaises sont fortement implantées, en les incitant à mener une politique d'entreprise plus progressiste, source d'une meilleure coopération à ses yeux. En outre, le Franc CFA est contrôlé par la Banque de France - donc, la BCE -, rendant la majorité des pays d'Afrique francophone dépendants de la valeur de l'euro. Au final, le projet de Bernier est une lutte du néocolonialisme français, qui est le principal fondement de l'immigration africaine à destination de l'Europe, en-dehors du contexte de guerre.
"Soutien critique" à Mélenchon
Dans le cadre de l'élection présidentielle, les deux orateurs tiennent à apporter un "soutien critique" à Jean-Luc Mélenchon, au moment même où l'eurodéputé arracha le soutien des militants communistes à sa candidature. Pour Bernier, ce soutien se veut tactique, dans la mesure où Mélenchon semble être en mesure de briser l'hégémonie du Parti socialiste dans la gauche française pour la première fois depuis 1978 et que la thématique "plan A - plan B" au sujet de la France dans l'UE insère la question d'une sortie de la France de la zone euro et de l'UE. Cela dit, tant pour Bernier que pour Kouvélakis, le "plan A" correspond à l'idée de renégociation des traités, telle que ne cessent de déclamer le PS et le PC depuis plusieurs décennies. Néanmoins, l'intellectuel grec se souvient que le premier soutien international du parti Unité populaire, regroupant l'ex-aile gauche de Syriza, fut Mélenchon et estime que sa candidature, surtout si elle est victorieuse, peut redonner un élan continental pour la gauche radicale, après s'être brisé en Espagne car Podemos vit son élan stoppé par le revirement de Syriza, son allié grec.
En tout cas, la gauche radicale devra vite sortir de sa torpeur pour convaincre des électeurs sur la question européenne.