L'ancien président du Zimbabwe a passé l'arme à gauche, ce 6 septembre 2019, à l'âge de 95 ans. Il va laisser une image fort contrastée entre le panafricain luttant contre la négrophobie et le colonialisme et le dirigeant s'accrochant au pouvoir, en dépit d'échecs patents au niveau économique.
Un des derniers grands politiciens africains est tombé. C'est ce qu'on peut retenir depuis l'annonce de la mort de Robert Mugabe, ce vendredi 6 septembre 2019, à Singapour, où il était hospitalisé. Âgé de 95 ans, Mugabe fait partie de ces personnes qui ont compté pour l'Afrique durant le 20e siècle, et au début du 21e siècle, tant il était haut en couleurs, en bien comme en mal.
Du libérateur...
Né en 1924 dans ce qui s'appelait à l'époque la Rhodésie du Sud, Mugabe, suivant une éducation menée par les jésuites, se destinait à une carrière dans l'enseignement, avec plusieurs diplômes universitaires à la clé, dont un de l'université de Fort Hare, en Afrique du Sud, une des rares universités acceptant des noirs - Nelson Mandela y fut également diplômé là-bas - dans l'Afrique du Sud d'apartheid. Il enseignait au Ghana, alors indépendant, au début des années 1960, quand il rencontra sa première femme, Sally Hayfron, avec qui il eut un fils, Michael Mugabe en 1963. Parallèlement, Mugabe prit part à la lutte contre le pouvoir négrophobe de Ian Smith, rejoignant Joshua Nkomo dans l'Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU) avant de s'en séparer, par division ethnique - Nkomo, le leader issu de l'ethnie Ndebele, minoritaire; Mugabe, issu de l'ethnie Shona -, pour fonder l'Union nationale africaine du Zimbabwe (ZANU).
De par son activisme politique, clamant suivre une pensée marxiste-léniniste qui n'est pas anodine dans une période de décolonisation et de guerre froide, Mugabe fut emprisonné peu après son retour au Zimbabwe et ne put voir son fils, mourant à l'âge de trois ans en 1966, ni assister à ses funérailles; le pouvoir blanc le lui ayant interdit. De quoi rester meurtri et déterminé à renverser l'ordre "établi". Libéré, comme d'autres prisonniers politiques, en 1974, par les autorités rhodésiennes sous pression de l'Afrique du Sud voisine, il reprit la lutte armée, avec le soutien du Mozambique et ayant le leadership de la ZANU, il put peser durant les négociations aboutissant aux accords de Lancaster House et à l'établissement d'élections multiraciales en 1980, actant l'indépendance du Zimbabwe. Ce qui fait que Mugabe est, parmi d'autres comme Nkomo, un des libérateurs du pays.
Ces élections assurant une victoire à la ZANU, Mugabe fut nommé Premier ministre, s'assurant d'appliquer les accords de Lancaster House, notamment au sujet de la propriété foncière puisque 6.000 fermiers blancs possédaient quasi la moitié des terres agricoles, et que les blancs aient une représentation politique (20 députés). Le zèle appliqué par Mugabe et le sens de la mesure à l'égard des fermiers blancs au sujet de la réforme agraire, appliquée de manière graduelle dans un premier temps, furent salués au niveau international et ne posait pas de problème économique, le Zimbabwe alors vu comme le grenier à maïs de l'Afrique. Cependant, durant ces premières années de pouvoir, une guerre civile éclata entre Shonas et Ndébélés, faisant plusieurs milliers de morts parmi ces derniers, après que Nkomo, qui fit partie du gouvernement de Mugabe, fut accusé de tentative de coup d'État. La réconciliation entre les deux hommes, en 1987, marqua la fin de cette guerre civile et la ZANU et la ZAPU fusionnèrent pour former la ZANU-PF. Cette même année, Mugabe devint président de la république.
Si les années 1990 marquèrent un recul pour le Zimbabwe, ce fut en lien avec l'instauration de politiques d'austérité imposées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale et auxquelles Mugabe s'exécuta, abandonnant un bréviaire marxiste-léniniste pour appliquer le catéchisme (néo-)libéral, générant du chômage de masse dans les grandes villes. Mais en parallèle, les fermiers blancs voyaient leur niveau de vie ne pas se dégrader de par leur assise sur les terres agricoles. De quoi mettre en colère des anciens combattants de la lutte contre le régime raciste de Ian Smith, poussant Mugabe à mener une réforme agraire agressive - expropriation forcée et redistribution à des proches du régime -, source de corruption. Celle-ci, accréditée par une réforme constitutionnelle, fit passer Mugabe pour un dictateur au niveau international, sans calmer une opposition intérieure pointant le train de vie dispendieux du président et de sa deuxième épouse, Grace Marufulu. Mais Mugabe parvint à se maintenir au pouvoir, en dépit d'accusation de fraudes électorales, notamment lors de sa réélection en 2008, et semblait assuré de rester au pouvoir jusqu'à sa mort et que sa femme prenne sa succession quand un coup d'État militaire fut organisé en novembre 2017, poussant Mugabe vers la sortie et intronisant le vice-président limogé, Emmerson Mnangagwa, qui a tenu à rendre hommage à son prédécesseur en faisant du 21 février, jour de naissance de Mugabe, un jour férié au Zimbabwe.
Après ce rappel biographique, que penser de Mugabe? Il serait tentant de le ranger parmi les dictateurs africains s'étant engraissés sur le pays, via la corruption, tout en jouant le numéro de l'anticolonialiste pour rire pour masquer un côté larbin de l'Occident devenant témoin gênant, comme un Mouammar Kadafi par exemple. Mais, à l'instar de Kadafi justement, il y a des actes diplomatiques qui plaident en la faveur de Mugabe dans son engagement panafricain. Ayant étudié en Afrique du Sud, il fit partie de ceux qui aidèrent les militants du Congrès national africain (ANC) contre le régime d'apartheid et un Nelson Mandela, tout comme un Thabo Mbeki, ne l'ont jamais oublié et ont toujours tenu de bonnes relations diplomatiques avec le Zimbabwe du "camarade Mugabe" tout en ayant des différences, comme le souligne ce tweet de l'ANC, ce 6 septembre.
ANC MOURNS THE PASSING OF FRIEND, STATESMAN & REVOLUTIONARY COMRADE ROBERT MUGABE#RIPMugabe #RIPRobertMugabe #Zimbabwe pic.twitter.com/fAtwjmDoF4
— African National Congress (@MYANC) September 6, 2019
De même qu'il est intervenu durant la deuxième guerre du Congo auprès du pouvoir de Kinshasa, menacé par une rébellion appuyée par le Rwanda et l'Ouganda, et qu'en échange de ce service rendu, Laurent-Désiré Kabila permit au Zimbabwe d'avoir accès au cuivre, au diamant, à l'exploitation d'un gisement de cobalt au Congo-Zaïre.
Au niveau économique, ça pêche pas mal. De 1980 à 1998, le PIB/habitant au Zimbabwe avait légèrement cru, avec quelques bas notamment dans le milieu des années 1980, avec le contexte de guerre civile, puis les premiers effets des politiques d'austérité du début des années 1990. Cela étant la chute fut vertigineuse au tournant du 21e siècle, peu après l'application de la réforme agraire radicale et l'arrêt d'investissements internationaux, pour sanctionner le changement de politique de la part de Mugabe, au point que le PIB par Zimbabwéen était de 725,6 dollars (constants de 2010) en 2007. De quoi pousser des Zimbabwéens à émigrer en Afrique du Sud, au risque d'être exposés à la violence des noirs sud-africains, mais ce sera l'objet d'un prochain article. Le niveau de PIB/habitant se remit monter ensuite, en dépit de la crise économique mondiale de 2008-2009, au point de dépasser de nouveau en 2018 son niveau de 1980 (cf graphique)
Il faut dire qu'à ce moment-là, l'instabilité monétaire était la norme car Mugabe demanda à la Banque de réserve du Zimbabwe de faire tourner la planche à billets, générant soit de l'hyperinflation, soit une hyper-déflation. De même qu'en-dehors de l'agriculture, s'était-il attaqué à une redistribution des autres secteurs économiques, vu qu'il se revendiquait du socialisme à la sauce marxiste-léniniste? Rien ne laisse envisager cette hypothèse. Puis, s'il était totalement perçu comme crédible dans son approche socialiste, panafricaine, il ne serait guère resté 37 ans au pouvoir et, au contraire, aurait connu un destin politique similaire à ceux de Kwame Nkrumah, de Patrice Lumumba, de Thomas Sankara, renversés après une courte période de pouvoir, voire assassinés. Sans compter son homophobie notoire qui accentue le discrédit à son sujet, tant la répression des homos au Zimbabwe a été féroce durant ses années de pouvoir.
Ce qui fait que Mugabe peut paraître un ange déchu qui était parti d'un bon pas mais qui demeura impuissant face aux difficultés rencontrées au fil du temps et de l'usure du pouvoir.
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Robert Mugabe, former Zimbabwe president, dies aged 95
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