Les discussions autour de la cérémonie des Césars du 28 février dernier sont focalisées autour de Roman Polanski, dont les frasques sexuelles l'ont rendu fugitif mais protégé par l'intelligentsia française, masquant le discours d'Aïssa Maïga pointant l'absence d'inclusion des non-blanc(he)s dans le ciné français, discours qui peut être critiquable sous un certain angle subversif.
Roman Polanski-Gabriel Matzneff, même combat! À l'instar de l'écrivain, qui se vantait de ses frasques pédocriminelles avec la bénédiction de l'intelligentsia française pendant des décennies, lui donnant des récompenses littéraires, avant d'être fortement critiqué suite à la parole libérée de certaines de ses victimes, le réalisateur connaît une trajectoire similaire, bien que son cas soit pire. Parmi la douzaine de femmes qui l'accusent d'agression sexuelle, de viol, alors qu'elles étaient adolescentes pour des affaires remontant aux années 70 et 80, il y eut un procès aux États-Unis et Polanski fut condamné mais il n'exécuta pas sa peine, agissant alors en fugitif, en hors-la-loi, continuant sa carrière de cinéaste avec des films comme Le Pianiste qui ont marqué les esprits ou J'accuse, son dernier film, traitant de l'affaire Dreyfus, lui permettant d'avoir le César du meilleur réalisateur lors de la cérémonie du 28 février 2020. Ce qui poussa l'actrice Adèle Haenel, qui a accusé le réalisateur Christophe Ruggia de harcèlement sexuel, libérant ainsi la parole des actrices dans le cinéma français, à quitter la salle, suivie d'autres personnalités, et incita l'écrivaine Virginie Despentes à lancer une tribune au vitriol parue dans Libération, dimanche 1er mars (cf lien).
En conséquence, la sphère médiatique se focalise sur Polanski, la polémique que ça fait, entre les partisans de Polanski, sous le leitmotiv hypocrite "il faut séparer l'homme de l'artiste", fut-ce-t-il un hors-la-loi, et les détracteurs estimant que ça crache sur les victimes de viols, d'agressions sexuelles, dans tous les milieux sociaux. Je n'ai pas besoin d'en rajouter, mais en raison des discussions houleuses sur ce sujet, je vais me contenter de citer un extrait du Mariage de Figaro, de Beaumarchais, à savoir une tirade de Marceline, apprenant que Figaro est son fils, et que le docteur Bartholo, se trouvant également être le père de Figaro, refusa dans un premier temps de le reconnaître:
- "Hommes, plus qu'ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets de vos passions, vos victimes! C'est vous qu'il faut punir des erreurs de notre jeunesse; vous et vos magistrats, si vains du droit de nous juger, et qui nous laissent enlever, par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister. Est-il un seul état pour les malheureuses filles? Elles avaient un droit naturel à toute la parure des femmes: on y laisse former mille ouvriers de l'autre sexe. Dans les rangs mêmes les plus élevés, les femmes n'obtiennent de vous qu'une considération dérisoire; leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes! Ah! Sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié!"
Au milieu du gué
Désormais, je vais parler de ce qui a été mis de côté et qui m'inspire le titre de ce billet de blog, c'est le discours d'Aïssa Maïga. L'actrice, avant de décerner le César du meilleur espoir féminin, s'est fendue d'un discours offensif, relevant le racisme institutionnel du cinéma français en indiquant la présence de 12 non-blanc(he)s sur une salle comportant 1.600 places. Elle rajouta dans ce faible nombre l'acteur Vincent Cassel, qu'elle décrit, avec une ironie bien mordante, comme celui qui jouait "le renoi de cité avant la diversité". Ce dernier ne comprenant pas pourquoi, alors que ça renvoie au fait qu'après le succès du film La Haine de Mathieu Kassovitz, parmi les trois acteurs principaux - l'arabe Saïd Taghmaoui, le noir Hubert Koundé, le blanc Vincent Cassel -, seul le dernier cité s'est durablement installé dans le ciné français. Est-ce au fait que son père, Jean-Pierre Cassel, était également acteur? Ce n'est qu'une hypothèse, mais le phénomène de reproduction sociale marche bien dans l'univers du cinématographe.
Par la suite, Maïga enfonce les portes ouvertes sur le cantonnement d'acteurs français non-blancs dans des rôles stéréotypés (terroriste, femmes de ménage à l'accent bwana, filles hypersexualisées, etc.), sur le blackface et comment ça a survécu à ça, pour indiquer "qu'on ne va pas laisser le cinéma français tranquille", et que l'inclusion passera par une prise de conscience au sein d'institutions dominées par des blanc(he)s, où le racisme institutionnel s'y exprime, au ciné comme ailleurs. Si ce discours choque les blanc(he)s paternalistes (droite) et/ou fraternalistes (gauche), c'est signe qu'il marque bien les esprits. Cependant, au risque de m'attirer les foudres d'afroféministes, le propos d'Aïssa Maïga n'est pas novateur et reste au milieu du gué. Pourquoi? Déjà, le côté novateur, frais et percutant du discours de Maïga, c'était déjà exprimé, sur le fond (inclusion de non-blancs dans le cinéma), par Luc Saint-Eloy et Calixthe Beyala, lors de la cérémonie des Césars en 2000. C'est dire qu'en 20 ans, les choses n'ont pas fondamentalement changé et que se contenter de ce genre de propos est pour le moins affligeant.
Et comme je vais m'attendre à de la critique, j'ai déjà des éléments de réponse à formuler. D'abord, penser à ne plus nécessairement se tourner vers les institutions pour espérer avoir des financements pour un film (long ou court métrage, peu importe). Et les évolutions technologiques ont donné des opportunités de financement par des citoyen(ne)s directement, à travers des plateformes de financement participatif. Ensuite, mener des projets de films pensés par soi-même pour développer une nouvelle génération d'acteurs, de réalisateurs non-blanc(he)s. La limite est de savoir si le public consentirait à financer des films faits par des afro-descendants, des asio-descendants, etc. Ça reste un risque mais pour un secteur d'activité affichant des rendements d'échelle croissants, où peu de concurrence existe en matière de production cinématographique, ça peut réussir tout de même.
Ce que j'écris là, ça ne tombe pas du ciel. Ça s'inspire à la fois de la Blaxploitation et du Do it yourself (DIY). La Blaxploitation est un phénomène culturel de la part des afro-américains dans les années 1970, avec des films réalisés, produits, joués par des noirs, valorisant des noirs dans des premiers rôles sur tout type de films (comédie romantique, films de gangster, western, drame, péplum, horreur, etc.). Le DIY renvoie aux punks britanniques de la fin des années 1970 et du début des années 1980, rejetant la société de consommation de masse, refusant de se faire contrôler par les grands labels musicaux (majors), et voulant auto-produire leur musique. Ce qui peut faire émerger des musiciens extra-européens à travers des labels locaux. L'exemple de Syllart Records est éclairant sur la musique africaine, notamment francophone, avec Ibrahima Sylla puis sa fille aînée Binetou Sylla, produisant les albums d'artistes de l'Afrique de l'Ouest, tels le sénégalais Youssou N'Dour, le malien Ismaël Lo ou l'ivoirien Alpha Blondy, puis s'étend sur l'Afrique centrale, avec les congo-zaïrois(es) Pepe Kalle, Tshala Muana, Mbilia Bel ou Zaïko Langa Langa, etc.
Enfin, peut-être envisager une valorisation en récompensant nous-mêmes, entre non-blancs, des artistes, comme le suggère Jacob Desvarieux, cofondateur du groupe Kassav, lors de son coup de gueule au sujet des victoires de la musique 2020, dont l'absence criante de "diversité" est une incitation à se démerder pour valoriser un travail que les institutions culturelles mettent de côté, visiblement.
Aux #Victoires2020, plus de catégorie "musiques du monde" 🌎 🎤 et des artistes nominés loin de la diversité de la population française...
— La1ere.fr (@la1ere) January 17, 2020
⏩ Jacob Desvarieux, fondateur du groupe Kassav', pousse un coup de gueule et demande un peu plus de représentativité dans la cérémonie ⤵ pic.twitter.com/7EUq1NH09y
En tout cas, ça prouve combien le propos suivant de Stokely Carmichael est profondément actuel: "Le racisme n'est pas une question d'attitude; c'est une question de pouvoir. Le racisme tient son pouvoir du capitalisme. Ainsi, si vous êtes anti-raciste, que vous le sachiez ou non, vous devez être anticapitaliste. Le pouvoir du racisme, le pouvoir du sexisme, vient du capitalisme, pas d'une attitude".
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Césars : "Désormais on se lève et on se barre", par Virginie Despentes
Que ça soit à l'Assemblée nationale ou dans la culture, vous, les puissants, vous exigez le respect entier et constant. Ça vaut pour le viol, les exactions de votre police, les césars, votre r...
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