Depuis plusieurs années, le déficit des administrations publiques (État, collectivités locales, Sécurité sociale) est principalement causé par la branche Sécu. Et ce, parce que les dépenses (assurance maladie, indemnité chômage, pensions de retraite, etc.) y ont explosé tandis que les recettes (cotisations sociales, Contribution sociale généralisée, Contribution au remboursement de la dette sociale, etc.) marquent le pas. Et la réforme de la Sécu doit s'inscrire dans un cadre de réforme fiscale.
Voici une septuagénaire dans un état critique. La Sécurité sociale, née à la fin de la Seconde guerre mondiale, il y a donc 70 ans, traîne un déficit chronique depuis plusieurs années. Le "trou de la Sécu", représente désormais plusieurs dizaines de milliards d'euros, et quand bien même c'est l'État central qui concentre la majeure partie de la dette publique, la dynamique actuelle incite à regarder de près la Sécurité sociale.
Une spécificité française
Dans l'ensemble, les dépenses publiques en France sont reconnues pour être parmi les plus élevées au monde puisque d'après Eurostat, les dépenses publiques en France représentaient 57,2% du Produit intérieur brut (PIB) en 2014, un niveau record à égalité avec le Danemark. Maintenant, dans la répartition de ces dépenses publiques, c'est la dépense sociale qui prime puisqu'elle représentait selon le même institut statistique européen 26,8% du PIB cette année-là. Et cette proportion n'a cessé de croître ces dernières années, comme l'indique le graphique ci-dessous:
Dans le même temps, l'État central a réduit la voilure, notamment après 2010, au plus fort de la crise des dettes souveraines dans la zone euro, pour revenir actuellement à une proportion relativement similaire à celle qui prévalait de 2006 à 2008. Un retour qui gêne les administrations locales puisqu'elles reçoivent moins de dotations, tout en étant incitées à se regrouper tant pour les communes que pour les régions. Or, elles ont élevé (relativement) leurs dépenses.
Le poids de la Sécu dans les dépenses publiques est une spécificité bien hexagonale puisque la France est le pays de l'Union européenne où la dépense sociale, rapportée au PIB, est la plus importante, d'après Eurostat. En dehors de l'Italie, la France est le seul pays à consacrer plus de 20% de son PIB aux dépenses sociales.
À besoins universels, ressources universelles
Du coup, si on se contente de ces données, et si on suit de manière béate les tenants du "mainstream" libéral, partisan de l'austérité, il faudrait couper dans les dépenses sociales, "toutes choses égales par ailleurs". Mais c'est oublier de leur part combien les citoyens se sont attachés à cette administration, ainsi que les recettes et d'où proviennent-elles. Dans le cas de la Sécu, la principale ressource est liée aux cotisations sociales que versent les employeurs et les employés, puis de manière marginale, différents impôts comme la CSG et la CRDS.
Avec le temps, le "trou de la Sécu" s'explique par une raison structurelle très claire. Les dépenses sont issues de besoins de plus en plus universels (assurance santé, assurance chômage, assurance vieillesse, etc.) et que l'effort repose essentiellement sur des ressources limitées (cotisations sociales), malgré l'existence de la CSG et de la CRDS qui indiquent une fiscalisation croissante du financement de la Sécu. Or, dans un contexte de chômage de masse, il est évident que la situation s'aggrave car la dépendance aux cotisations est devenue exorbitante, ce dont les fondateurs n'y avaient pas pensé en 1945.
"La contribution forcée"
Tenir un discours contre les cotisations sociales, en considérant qu'elles sont trop importantes pour l'administration de sécurité sociale et en plus insuffisantes, ça pourrait bien me faire passer pour un libéral forcené aux yeux de nombre de mes amis de gauche, voire de gauche radicale et d'extrême-gauche. Mais ce n'est pas le cas car ce diagnostic rejoint un tant soit peu celui que tenait Jules Guesde au début du XXe siècle. Guesde, l'introducteur du marxisme en France avec le Parti ouvrier français, un tenant de l'unité des socialistes en 1905, mais mis dans l'ombre de Jean Jaurès, s'était opposé, tout comme Paul Lafargue et la CGT de l'époque, aux retraites ouvrières votées en 1910 par le gouvernement d'Aristide Briand. Il s'opposait aux cotisations ouvrières car il estimait que les députés allaient "doubler le vol patronal d'un vol législatif." En outre, cette "contribution forcée", basée sur un régime par capitalisation, aurait pour conséquence ultime la réduction de "ressources familiales déjà insuffisantes" et qu'il faudrait un impôt spécial visant la classe dominante à la place (il n'y avait pas encore d'impôt sur le revenu, voté seulement en juillet 1914, peu avant le début de la guerre).
Sur la forme, la situation a évolué puisque l'espérance de vie s'est prolongée, le niveau de vie des prolos français et occidentaux s'est amélioré (contrairement à celui des prolos africains, mettant un coup à l'internationalisme), de même qu'il s'agit de régime par répartition et que l'impôt sur le revenu est en place, mais le fond se pose encore, de manière élargie. Comment financer la Sécu et par qui (ou l'inverse)? Chacun a son idée de réponse mais pour ma part, j'estime que l'impôt sur le revenu doit prendre le relais des cotisations sociales, qui ne peuvent répondre de manière efficiente aux besoins, mais cela implique deux choses:
- L'actuel impôt sur le revenu doit fusionner avec la CSG et la CRDS pour former un véritable impôt sur le revenu, progressif, à la source, comme l'ont proposé par le passé des économistes comme Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez par exemple.
- Ce dit nouvel impôt sur le revenu doit être élargi dans son assiette, quitte à imposer les plus pauvres avec des taux d'imposition faibles et à relever le niveau de la dernière tranche d'imposition, afin que le consentement à l'impôt rentre dans les mœurs et soit une pierre angulaire de la citoyenneté.
Vu comme ça, ça semble impossible et vu ce que j'ai écrit tantôt, il y a forcément des endroits où certains esprits critiques se faufileront pour défoncer mes propos. Soit. Mais bon, "impossible n'est pas français!"
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Sécurité sociale : un éloge et quelques oublis
Lançant hier la célébration des 70 ans de la Sécu, Marisol Touraine vante la modernité de cette construction politique, pourtant malmenée par la politique du gouvernement.
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1945-2015 : les grandes dates de la Sécurité sociale
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JULES GUESDE. - Messieurs, ce n'est pas par plaisir, c'est par devoir que j'aborde la tribune ce soir et vous demande quelques minutes de votre attention. J'ai écouté tous les orateurs ou à peu ...
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