Le durcissement des tensions entre le gouvernement et les opposants au projet de loi travail, pousse à une violence accrue. Et le pouvoir politique, relayé au niveau médiatique, montre les crocs sans pitié, excitant ainsi les opposants les plus radicaux.
La mobilisation dans la rue contre le projet de loi travail, jeudi 26 mai, a repris une certaine ampleur. En tout cas, à Paris, car si on prend les données de la préfecture de police (18.000), il y avait bien plus de manifestants que jeudi 19 mai, lors de la précédente journée de manifestation.
Une CGT radicalisée
En vérité, il faudrait tabler sur 30.000 manifestants sur Paris, ce qui est bien en-deçà des 100.000 manifestants comptabilisés par la Confédération générale du travail (CGT). Cette dernière montre d'ailleurs un renforcement dans ses rangs parmi les manifestants. Il faut dire que ce syndicat, le plus ancien et le plus important en France, a pris un virage assez radical, en soutenant les grèves reconduites dans les raffineries depuis quelques jours, dans les centrales nucléaires prochainement, ainsi que dans les transports. Ce qui en France, un pays traditionnellement peu syndiqué et anti-syndical dans son approche politique et médiatique, vaut l'accusation de "prendre en otage" les automobilistes-travailleurs, dans la mesure où un syndicat serait minoritaire.
Pour certains observateurs (éditorialistes), la radicalisation de la CGT face au projet de loi El Khomri, est une question de survie, car selon eux, ce syndicat se sent menacé par certaines dispositions du projet comme le référendum d'entreprise, qui le fragiliseraient, à la l'avantage de la Confédération démocratique du travail (CFDT). Mais deux éléments ne sont pas pris en compte dans leur analyse:
- La CFDT est loin d'être unie sur le sujet du projet de loi travail. Une bonne partie de la base syndicale ne suit pas la politique de négociation, menée par la direction confédérale, Laurent Berger en tête. D'ailleurs, dans plusieurs manifestations, des syndiqués CFDT se sont joints aux cortèges de la CGT et d'autres syndicats (Force Ouvrière, SUD, CNT, FSU, etc.), de manière plus ou moins discrète.
- La CGT se radicalise par sa base. La direction confédérale, avec le secrétaire général Philippe Martinez, ne tient pas à se mettre en porte-à-faux avec ses syndiqués. Or, ces derniers veulent aller jusqu'au blocage de l'économie française, pour faire retirer ce projet de loi. Autrement dit, c'est une écoute attentive aux souhait des syndiqués, et non une volonté propre de la direction de la CGT, bien plus "réformiste" qu'il n'y parait.
Une affaire personnelle
Face à ça, le gouvernement entend ne rien lâcher. Surtout le Premier ministre, Manuel Valls, qui semble en faire une affaire personnelle. Et dans ce cas, personne ne doit le contredire. Michel Sapin en a pris pour son grade. Le ministre des Finances, qui évoquait, jeudi matin, une évolution de l'article 2 du projet de loi - celui qui donnerait primauté aux accords d'entreprise sur les accords de branche -, reçut une réponse cinglante, par médias interposés, du Premier ministre, pour qui "il n'est pas question d'y toucher". D'ailleurs, sur la question des raffineries, il ne s'interdit pas de réquisitionner des salariés sur des sites en grève, afin d'éviter la pénurie, ou de trop utiliser les réserves stratégiques de pétrole de la France. Des méthodes appliquées par le gouvernement de François Fillon en 2010, lors de la réforme des retraites, et qu'il condamnait à l'époque, comme le rappelle le journal Huffington Post. Quand le pouvoir rend amnésique et hypocrite!
En tout cas, il a décidé qu'il y jouerait sa place à Matignon vu l'évolution de la contestation du projet de loi travail. Eh ben, ça ne peut que motiver de futurs manifestants, vu l'impopularité de la loi, actuellement en négociations au Sénat, et du Premier ministre!
Ça gaze sévère!
Enfin, et ça devient une habitude depuis quelques semaines, les violences entre "casseurs" et forces de l'ordre font partie du paysage des manifestations. Mais dans des proportions délirantes! En tête de cortège, des "casseurs" - en fait soit des Autonomes ou des Black Blocks - se revendiquant de l'anarchisme mais agissant de manière opposée à ce que défendaient leurs références intellectuelles (Mikhail Bakounine, Ericco Malatesta, Elisée Reclus, etc.), voulaient en découdre. Mais ils étaient entourés de manifestants membres de Nuit Debout qui entendaient éviter que ça tourne au vinaigre. Hélas, sur une rue à la droite du boulevard Diderot (12e arrondissement), la tête de cortège (environ 2.000 personnes) fut prise dans une nasse par les CRS, qui envoyèrent des gaz lacrymogène et chargeaient la foule. Plusieurs blessés chez les manifestants, et des coups de matraque reçus, selon divers témoignages.
Du coup, bien excités, certains "casseurs" décidèrent de briser des vitrines d'agences de banque, d'assurances, de publicités, de même que celles d'un concessionnaire automobile. Encore heureux que des Autonomes se sont interposés pour éviter des bris de vitrine pour le centre Emmaüs sur le boulevard. Mais surtout, le comité d'accueil à place de la Nation fut gratiné! Des gaz lacrymogène envoyés massivement par des policiers et gendarmes prenant plus de la moitié de la place, plongeant la tête de cortège sous un épais nuage de fumée, avec des problèmes aux yeux et à la gorge sur l'instant pour nombre de manifestants. Plus de multiples charges de CRS pour briser des genoux de manifestants.
Que retenir? Finalement, l'opposition au projet de loi travail semble reprendre du poil de la bête. En outre, Nuit Debout cherche à faire son propre cortège, à la tête du cortège général, pour éviter des débordements. Néanmoins, ce fut perfectible ce jeudi 26 mai et les futures manifestations seront aussi un test pour ce mouvement, dans sa capacité à gérer des tensions, et qui sait, un soutien plus massif des services d'ordre des syndicats pour sécuriser les futures manifestations.