Le nouveau président de la République démocratique du Congo a tenu un discours qui se veut rassembleur lors de son investiture, jeudi 24 janvier, et les défis seront nombreux durant son quinquennat, au niveau économique, social, ou encore géopolitique. Le tout avec une marge de manœuvre limitée vu que l'ancienne majorité présidentielle garde la main sur l'Assemblée nationale.
"Ce jeudi 24 janvier 2019 est un jour historique" clame d'entrée Félix Tshisekedi, dans son discours d'investiture au poste de président de la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre), permettant de dire que son élection, selon les résultats de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), publiés le 10 janvier dernier, donne lieu à une alternance "pacifique" par rapport à son prédécesseur, Joseph Kabila, au pouvoir de 2001 à 2019. En dépit d'un malaise qui serait dû à la forte chaleur sur Kinshasa et l'émotion que suscite un tel moment pour lui, Tshisekedi a tenu à faire passer un discours rassembleur, affirmant que le Congo-Zaïre qu'il compte former avec l'ensemble de la classe politique ne sera pas "un Congo de la division, de la haine ou du tribalisme". C'est aussi l'occasion, pour le nouveau président congo-zaïrois, de saluer ses prédécesseurs, de Joseph Kasa-Vubu - premier président de la république - à Joseph Kabila, en passant par Patrice Lumumba, premier Premier ministre du Congo indépendant, Joseph-Désiré Mobutu dit Mobutu Sese Seko, puis Laurent-Désiré Kabila. Mais il n'oublie pas non plus de saluer son adversaire Martin Fayulu, un "fils du peuple" selon ses dires, son autre adversaire Emmanuel Ramazani Shadary, son allié Vital Kamerhe, mais aussi et surtout son père, Étienne Tshisekedi, figure historique du Congo-Zaïre, mort en 2017.
De nombreux défis
La tâche qu'attend Tshisekedi, en tant que président du Congo-Zaïre, est ardue. Il sera attendu au tournant tant la question de sa légitimité est mise en cause en raison d'irrégularités relevées par le camp de Fayulu, des médias internationaux ou l'Église catholique. En premier lieu, la question économique. Les ressources minières du Congo-Zaïre attirent volontiers les firmes multinationales, tels des vautours gravitant autour de leur proie. Tshisekedi en semble conscient étant donné qu'il mentionne la question de l'évolution du secteur automobile, avec une part croissante des voitures électriques, dont leur fonctionnement est basé sur du lithium et du cobalt. Deux ressources dont la RDC en possède d'importantes réserves, surtout en cobalt. Mais aussi la fiscalité car la fraude fiscale des entreprises et particuliers en RDC est estimée entre 16 et 20 milliards de dollars par an. Soit quatre à cinq plus que le budget de l'État central! L'enjeu sera de lutter efficacement contre la fraude fiscale, mais aussi la corruption, pour accroître le budget de l'État et ainsi financer des investissements dans l'éducation, les infrastructures routières ou électriques, les programmes sociaux, ou encore les traitements des fonctionnaires.
Mais d'autres défis attendent Tshisekedi. La pacification du pays, embourbé dans des tensions intérieures, avec des groupes ethniques pouvant se rebeller à tout bout de champ, des violences communautaires plus ou moins constantes, obligeant des déplacements de milliers citoyen(ne)s dans le pays; mais aussi sous la menace de groupes rebelles, de milices étrangères qui se cachent dans la forêt pour mieux commettre des crimes contre l'humanité. Et tout particulièrement les viols de femmes comme arme de guerre dans l'Est du pays, le long de la frontière avec le Rwanda. Justement, la question des relations avec le Rwanda et les autres pays voisins sera décisive durant le quinquennat de Tshisekedi. Le président rwandais, Paul Kagame, actuellement à la présidence (tournante) de l'Union africaine (UA), comptait se rendre, avec une délégation de l'UA, à Kinshasa, le 21 janvier, pour mettre la pression sur les instances congolaises au sujet des résultats électoraux. La Cour constitutionnelle lui ayant coupé l'herbe sous le pied, l'instance supranationale n'avait plus de raison de se pointer dans la capitale congolaise. Autre question géopolitique, quel rapport Tshisekedi doit-il tenir avec les pays développés et émergents? Un rapport d'égal à d'égal, servant les intérêts de la RDC et de son peuple? Ou un rapport encore inégal, se servant sur les intérêts de la RDC? Et vu que certains pays occidentaux (États-Unis, France) ont plus ou moins affiché une préférence pour Fayulu, la tension pourrait bien être palpable dans les prochains mois.
Une question reste à poser. Tshisekedi a-t-il une grande marge de manœuvre? En vérité, pas tellement. Selon les résultats provisoires publiés par la CENI, les élections législatives, même si 15 sièges manquent à l'appel, les partisans de Kabila, réunis sous la coalition Front commun pour le Congo, ont une forte majorité des sièges de l'Assemblée nationale - 337 sièges sur 500 -. Ce qui oblige, de facto, à un scénario de cohabitation entre Tshisekedi et le camp pro-Kabila. Mais peut-on réellement parler de cohabitation, comme on a pu l'observer à trois reprises en France, dans les années 1980 et 1990? Certains observateurs, ainsi que les partisans de Fayulu, soupçonnent le camp de Tshisekedi et le clan Kabila de s'être arrangé en douce, pour éviter des émeutes et une vague de répression. Néanmoins, ça fait que Kabila lui-même reste encore influent sur la scène politique. D'ailleurs, désormais sénateur à vie, comme le permet l'article 104 de la Constitution, l'ancien président pourrait tout à fait devenir président du Sénat à l'issue des élections sénatoriales prévues pour le mois de mars et que ses partisans seraient également majoritaires dans la chambre haute du Parlement congo-zaïrois. Dans ce cas, il deviendrait le deuxième personnage de l'État, et redeviendrait président (par intérim) en cas de démission ou de décès de Tshisekedi, sachant qu'il ne s'interdit pas de se porter candidat pour la présidentielle de 2023. Notons au passage que la Constitution congolaise de 2006 a de fortes similitudes avec la Constitution française de 1958.
Enfin, il reste l'armée. La grande majorité des officiers et généraux congo-zaïrois ont été mis en place sous Kabila. Se comporteront-ils en serviteurs de l'État sous le mandat de Tshisekedi? Ce n'est pas une certitude absolue et il faudra surveiller comment l'armée se comportera à l'avenir.
En clair, le mandat de Tshisekedi ne sera pas de tout repos!