La crise du Coronavirus montre, une fois encore, que l'Union européenne ne permet pas d'équilibre entre les États membres, mais accentue les divergences en son sein. Et que sous sa version actuelle, elle ne peut que creuser sa propre tombe.
La solidarité européenne, tant vantée, est-elle à la hauteur de l'enjeu sanitaire et économique que nous vivons? Plusieurs éléments de réponse indiquent des contradictions. D'un côté, positif, certains malades du Covid-19 sont transférés dans d'autres pays où les services hospitaliers sont moins débordés. C'est le cas de l'Allemagne, où certains Länder de l'Ouest ont soigné des Français originaires de l'Alsace fin mars-début avril, quand les hôpitaux locaux - Strasbourg, Mulhouse, etc. - risquaient de ne plus accueillir des malades pour pouvoir secourir efficacement. De l'autre, négatif, des vols de masques, fin mars, entre pays européens, comme par exemple la République Tchèque prenant des masques en provenance de Chine destinés à l'Italie ou encore des masques produits en Suède, destinés à l'Italie et l'Espagne mais saisis par... la France.
Divergence Nord/Sud
Mais là où la solidarité européenne tend à être rangée au rayon des légendes urbaines, c'est sur les questions économiques, et plus spécifiquement les politiques budgétaires et monétaire. Et depuis plus d'un mois, les membres de l'Union européenne (UE) n'arrivent pas à se mettre d'accord sur un plan de relance communautaire (cf lien n°1). Et cela pour deux raisons. La première est que les principaux pays du Sud de l'UE - Italie, Espagne, France - sont parmi les plus touchés par le Coronavirus avec près de 70.000 morts du Covid-19 dans ces trois pays, soit environ 36,4% des morts recensés en ce vendredi 24 avril matin. Par contre, au Nord de l'UE, des pays comme l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, enregistrent de bien moindres pertes. Deuxième raison, c'est que le Nord de l'UE considère que ça découle d'une mauvaise gestion économique, budgétaire, de la part du Sud de l'UE et n'entend pas du tout céder à toute proposition de mutualisation des dettes publiques, ni de rachat direct de titres de dette publique par la Banque centrale européenne (BCE). Ce qui, dans ce dernier cas, est confirmé par Christine Lagarde, gouverneure de la BCE, suivant la position politique du Nord de l'UE (cf lien n°2). Ce qui ne peut que rendre chimérique la proposition d'un plan de relance massif que semble défendre Emmanuel Macron, président de la République.
En fait, la gestion disparate de la crise sanitaire transformée en crise économique illustre la divergence Nord/Sud dans l'UE, où le premier affiche son mépris envers le second, en jouant les donneurs de leçons qu'il n'a pas apprises de toute façon. En effet, comme le rappellent les économistes Dany Lang et Isabelle Salle dans une tribune (cf lien n°3), un pays du Nord de l'UE comme les Pays-Bas, ouvertement hostile à une politique de soutien communautaire, notamment à destination de l'Italie au nom d'une dette publique néerlandaise inférieure à la dette publique italienne, ferait bien de balayer devant sa porte vu que la dette privée à Amsterdam est bien plus importante qu'à Rome (239% du PIB aux Pays-Bas contre 87% en Italie). Ce qui peut conduire à une nouvelle crise financière car la dette privée est moins sûre que la dette publique, à travers la circulation de titres pourris. Cette divergence Nord-Sud a pour origine la création de l'euro, issu du traité de Maastricht (1992). L'orthodoxie économique considère que la création de la monnaie a permis de résister à la crise financière de 2008-2009 et est un ciment de la solidarité européenne qu'il faut préserver, l'hétérodoxie économique juge que la monnaie unique a aggravé la crise financière sur le vieux continent et est une pierre angulaire dans les inégalités au sein de l'UE dont il faut soit réformer, soit détruire.
Pour ma part, en raison de mon parcours étudiant, j'accorde de l'attention à ce sujet, cher(e)s lecteurs/lectrices. Si au début de mes études en économie à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, fin 2009, je n'avais pas forcément un a priori négatif sur l'euro mais que l'idée de le réformer serait intéressante à mes yeux; la chose est bien différente cinq ans plus tard, à la fin de mes études, d'autant que l'actualité avait pas mal bougé entre 2009 et 2014. Dans un billet écrit ici début 2014, j'indiquais combien l'euro est un choc asymétrique strictement positif pour l'Allemagne car la monnaie unique est basée sur les critères du deutschemark allemand au moment de Maastricht, à savoir une monnaie forte et une banque centrale ayant pour obsession d'éviter l'inflation. Ce qui, pour des pays comme la France ou l'Italie, est problématique car une monnaie trop forte les affaiblit économiquement. Et en m'appuyant sur les analyses des économistes Jacques Sapir ou Frédéric Lordon, j'en concluais dès lors que l'euro est un problème à régler en s'en séparant. Et cette position en a été renforcée avec la crise grecque, notamment à l'été 2015, où le gouvernement Syriza d'Alexis Tsipras s'est couché en acceptant des plans d'austérité pour rester dans la zone euro, permettant de conclure à un duel à mort entre l'euro et la gauche.
Aujourd'hui, comme le souligne Lordon dans son blog (cf lien n°4), la crise actuelle fait bouger bien des lignes. L'ancien ministre des Finances grec du gouvernement Syriza de 2015, Yanis Varoufakis, qui tenait encore à une réforme de l'intérieur de l'euro et de l'UE, en vient à affirmer que "la désintégration européenne a commencé". L'opinion publique italienne, historiquement la plus pro-européenne, est en train de changer radicalement de point de vue, tant elle se sent insultée par le Nord de l'UE - Pays-Bas et Allemagne en tête - depuis le début de la crise sanitaire, alors qu'elle a appliquée à fond les mesures d'austérité que Berlin, via les instances européennes, imposait aux pays du Sud de l'UE, considérés comme des "porcs" (PIGS en anglais, en associant le Portugal, l'Italie, la Grèce et l'Espagne). Et en raison de son poids politique, économique, l'Allemagne a encore une fois la balle dans son camp. Or, le cadre européen actuel, sacralisé par les traités à faire respecter, a été façonné pour faire plaisir à Berlin. Et Paris a laissé faire cela, appliquant aussi des politiques d'austérité à travers l'exemple du dépeçage de l'hôpital public sur près de deux décennies, posant problème aujourd'hui.
En tout cas, si ça continue comme d'habitude, il faudra tirer comme conséquence une politique mortifère et que si ça tient à l'éviter, quitter la zone euro, au moins, deviendra une nécessité. Mais préparer un Frexit, nous devrons.
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