La manifestation du 19 janvier contre l'énième projet de réforme des retraites est scrutée de toutes parts car l'ampleur de la mobilisation dans la rue ou sur le piquet de grève donnera le la sur la suite des événements. Un scénario de type Gilets jaunes donne des sueurs froides au gouvernement, pourtant prêt à en découdre.
"Tu bosses toute ta vie pour payer ta pierre tombale". Le premier vers de la chanson Antisocial du groupe de métal français Trust colle parfaitement à l'actualité, axée sur la réforme des retraites, présentée par le gouvernement d'Élisabeth Borne le 10 janvier dernier, dont la première manifestation en opposition à cette "réforme" est prévue pour le 19 janvier. Cette "réforme", qui fait reculer l'âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans à l'horizon 2030 sauf pour les personnes ayant travaillé avant l'âge de 20 ans, en fonction de plusieurs tranches (début de carrière avant 16 ans; entre 16 et 18 ans; entre 18 et 20 ans) et les personnes invalides ou en situation de handicap (cf lien n°1). Du moins en théorie car certains ont utilisé le simulateur de retraites émis par le gouvernement et cela peut contredire la parole gouvernementale (cf photo n°1), sachant que pour une retraite à taux plein, il faudrait compter à partir de 2027 43 années de cotisations.
/image%2F0159913%2F20230118%2Fob_cd6a8a_325467202-1191831115088418-34548360468.jpg)
Union sacrée syndicale?
L'une des réussites - si on peut dire - du pouvoir actuel est d'avoir mis en place une unité syndicale... contre lui et son projet sur les retraites. Pour la première fois depuis 2010, l'ensemble des syndicats se regroupe contre et entend ne pas faire reculer l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Y compris la Confédération française démocratique du travail (CFDT), dont le virage "réformiste" depuis les années 1980 contraste avec l'image plus "contestataire" véhiculée envers la Confédération générale du travail (CGT). Par ailleurs, la pétition intersyndicale lancée ces derniers jours a passé le cap des 500.000 signatures ce mercredi 18 janvier (cf lien n°2). De quoi justifier l'enthousiasme des syndicats dans l'idée qu'il y a une opposition très large de la population? Toujours est-il qu'ils annoncent un taux de grève très important dans le secteur public - notamment dans l'éducation nationale et les transports -, mais aussi des grèves dans le secteur privé - énergie, automobile, etc. - (cf lien n°3).
En tout cas, cette union sacrée syndicale sera à voir si elle s'inscrit dans la durée, dépendant de l'effet des grèves, de leur capacité à être reconductibles, puis de l'ampleur des manifestations, en dépit de la réponse habituelle des relais médiatiques du pouvoir, donc de la classe bourgeoise, poussant un haro sur les syndicats dans la grande tradition anti-syndicaliste made in France.
Encaserner les oppositions
En face, le gouvernement, serviteur de la classe bourgeoise, a pour objectif d'éviter une mobilisation de forte ampleur, tant dans les grèves que dans les manifestations. Plusieurs moyens sont possibles pour encaserner les oppositions. D'abord, compter sur les conditions atmosphériques. En l'occurrence de la pluie ou des nuages et surtout le froid, en ce mois de janvier. Mais cela n'est pas évident, en raison du réchauffement climatique que le président Emmanuel Macron se demande encore "qui aurait pu prédire la catastrophe climatique". Ensuite, mobiliser ses propres forces telles les mass media contrôlés par des bourgeois, afin de relayer la propagande officielle, ou encore les policiers et les gendarmes. 10.000 d'entre eux vont être déployés dans toute la France pour la manifestation du 19 janvier, dont 3.500 à Paris, selon le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin (cf lien n°4). Le tout, en faisant en sorte de chouchouter ces derniers pour qu'ils ne soient pas concernés par la réforme des retraites et dont la masse syndicale peut mettre un bon coup de pression au gouvernement (cf lien n°5). De quoi inciter les syndicats extérieurs à la police à s'inspirer de la puissance des syndicats policiers tout en évitant leur côté institutionnellement raciste, soit dit en passant.
Mais si la répression policière serait très forte, elle enverrait un signal appelant à la résignation des oppositions, à l'instar du mouvement des Gilets jaunes fin 2018-début 2019, où la montée en cran de la répression policière a peu à peu réussi à liquéfier le mouvement, tant la peur de partir en manif et d'en ressortir éborgné ou de toute autre blessure est devenue vivace. Ce qui montre combien le capitalisme est par définition violent et est prêt à marquer au fer rouge (ou au tir de LBD, c'est selon) sa domination sur les corps et les esprits.
"Après nous, le déluge"?
Enfin, l'argument du gouvernement est que cette "réforme" sert à sauver le système de retraite par répartition, menacé en raison d'un déficit chronique. Ces deux dernières années, des excédents budgétaires ont été enregistrés du côté de la branche vieillesse (retraites) de la Sécurité sociale, même si certains observateurs estiment que ce serait exceptionnel (cf lien n°6). De sorte qu'il ait comme état d'esprit "après nous, le déluge". C'est quelque part le slogan de la majorité des retraités actuels, qui sont la seule classe d'âge majoritairement favorable à ce qu'il faut appeler le dépeçage des retraites. Et ce d'autant plus que, selon le journal Le Monde, d'autres "réformes" des retraites sont à prévoir par la suite (cf lien n°7).
Et l'effet de long terme de ce dépeçage des retraites est la paupérisation des futur(e)s retraité(e)s, en raison du calcul de la pension en fonction des années cotisées - 25 meilleures années dans le secteur privé depuis 2010 -, des carrières hachées (chômage, maternité pour les femmes, etc.). Si la France fait partie des pays où le taux de (risque de) pauvreté des retraités est faible dans l'Union européenne, généralement moitié moindre qu'en Allemagne selon les données d'Eurostat, les "réformes" successives de ces dernières décennies peuvent mener à un rattrapage en matière de pauvreté des retraités de ce côté-ci du Rhin. Et bien entendu, tout le monde n'est pas logé à la même enseigne car ce sont les plus pauvres qui meurent le plus tôt, avec une proportion de près de 30% pour les hommes les plus pauvres mourant avant 64 ans selon le journal Libération (cf photo n°2). Signe, une fois encore, que la mort reconnaît la lutte des classes!
/image%2F0159913%2F20230118%2Fob_2e735c_325563141-543871031107213-476507333849.jpg)
/https%3A%2F%2Fwww.vie-publique.fr%2Fsites%2Fdefault%2Ffiles%2Freseaux-sociaux%2Fannonces_premiere_ministre_reforme_retraites_000_336T84E_Drupal.jpg)
Réforme des retraites : les annonces de la Première ministre
Report de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans à partir de 2030, 43 ans de cotisation nécessaires à partir de 2027, prise en compte de la pénibilité, suppression des régimes spé...
/https%3A%2F%2Fmedia.lesechos.com%2Fapi%2Fv1%2Fimages%2Fview%2F632dcdbe8d611133652b4085%2F1280x720%2F0702421652536-web-tete.jpg)
Retraites : un excédent de 3,7 milliards d'euros attendu à l'Agirc-Arrco en 2022
Après le surplus de 2,6 milliards déjà enregistrés l'an dernier, le régime géré par les syndicats et le patronat continue d'engranger les bénéfices de la reprise économique post-Covid.
/https%3A%2F%2Fimg.lemde.fr%2F2023%2F01%2F18%2F177%2F0%2F4252%2F2834%2F1440%2F960%2F60%2F0%2Feedbc56_1674049061605-01.jpg)
Pourquoi cette réforme des retraites ne sera pas la dernière
Le gouvernement la voit comme une réforme " juste " et porteuse de " progrès ",devant " préserver " le système " à l'horizon 2030 ", répètent en boucle les ministres chargés de défendre la...