En ces temps de crise, avec un chômage persistant, les syndicats sont mis à l'index comme responsables de la mauvaise santé économique de la France, car trop exigeant sur les salaires et le temps de travail. Cette image donnée par le patronat rend les syndicats très impopulaires auprès des citoyens-travailleurs. Est-ce pourtant réel?
Le 1er mai, depuis la fin du XIXe siècle, est symbole de la journée chômée et laïque par excellence. Et il faut dire que ça vient des États-Unis (un des rares côtés positifs de l'américanisation de la France) puisque le 1er mai 1886, une grève générale pour la journée de 8 heures fut lancée par les syndicats états-uniens et sur la fin de la journée, des grévistes - anarchistes pour la plupart - furent chargés par la police à Chicago, tuant plusieurs personnes dans les deux camps. Mais surtout, les meneurs de la grève à Chicago furent arrêtés et la moitié d'entre eux furent pendus dans les mois qui suivirent.
En ce 1er mai 2015, on est loin de vouloir tuer des syndicalistes en France, mais les différentes centrales syndicales ne comptent pas faire de défilés communs, signe de leurs divisions face à la politique du gouvernement majoritairement "socialiste", et ils sont loin d'être aimés par les citoyens français, devenus de plus en plus individualistes et ne croyant plus à l'efficacité de syndicats, dont ils font une liste de reproches longue comme un bras.
Un syndicalisme faible
La grande particularité du syndicalisme en France, c'est qu'il est très faible. Le taux de syndicalisation (nombre de syndiqués x 100 / ensemble des actifs) est le plus faible de tous les pays développés, avec moins de 10% de la population active. Une tendance inscrite dans le temps puisque le taux de syndicalisation ne cesse de baisser depuis les années 1970, où il était de seulement 22% en France. Bien loin des niveaux de l'Allemagne, du Royaume-Uni, des États-Unis, de l'Italie, de l'Espagne ou bien sûr des pays nordiques (Suède, Danemark, Finlande, Norvège), où la tradition syndicale est liée au "syndicalisme de service", où le travailleur se doit d'être syndiqué pour bénéficier des politiques sociales menées par les administrations publiques.
Mais ce qui est particulier, à la lecture du graphique ci-dessus et si on a en mémoire les taux de chômage dans ces pays cités, c'est que des pays comme l'Espagne ou l'Italie, dont le taux de chômage a augmenté ces dernières années, ont vu leur taux de syndicalisation croitre et dans le cas contraire (États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, Danemark), cette syndicalisation décline peu à peu. Il faut dire que les politiques d'austérité menées par le passé dans ces pays-là (exception faite du Danemark), ont tué des syndicalistes. Et la France a le chic de reprendre le schéma de ses voisins latins au sujet du chômage et celui des anglo-saxons sur la décrue syndicale. Tout un paradoxe!
Émiettement syndical
Le grand reproche envers les syndicats est peut-être le suivant: c'est qu'ils sont nombreux en France! Il y a la Confédération générale du Travail (CGT), le plus ancien et le plus puissant syndicat français, fondée en 1895; la Confédération française démocratique du travail (CFDT); la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC); Force ouvrière (FO); Solidaires (SUD); la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC); la Confédération nationale du Travail (CNT); la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME); le Mouvement des entreprises de France (Medef); sans compter les syndicats liés spécifiquement à quelques secteurs d'activité.
Vu comme ça, le travailleur pourrait avoir l'embarras du choix mais c'est tellement dispaché que ça en devient illisible. En plus, il est bon de rappeler que certains syndicats sont nés de scissions, comme FO qui naquit d'une scission avec la CGT en 1947, la CFDT, issue de sécessionistes laïcs de la CFTC en 1964, ou la CNT-AIT (pour Association internationale des travailleurs), née d'une scission avec la CNT en 1993 par exemple. Et pourtant, les idées émises sont souvent semblables, même du côté des syndicats patronaux (CGPME et Medef). Il serait plus intelligent pour certains syndicats de fusionner avec d'autres, respectant l'adage "l'union fait la force", puis permettant de rendre visible d'autres syndicats aux idées radicalement opposées, comme la CNT qui défend un style anarcho-syndicaliste. Un regroupement ne pourrait pas faire de mal pour les intérêts de la classe prolétarienne.
Une tradition antisyndicale
En-dehors d'affaires comme celle qui a concerné Thierry Lepaon, ancien secrétaire général de la CGT, en début d'année, les syndicats sont depuis longtemps des mal-aimés en France. Surtout du côté de la classe possédante. On l'oublie mais de la Révolution française, avec la loi Le Chapelier de 1791 renforcée par le livret ouvrier par Napoléon Bonaparte en 1803, au second Empire, jusqu'à la loi Ollivier du 25 mai 1864, le droit de grève, tout comme les syndicats étaient interdits. En 1864, le droit de grève fut légalisé mais il fallut attendre 1884 pour qu'il y eut la liberté syndicale, avec Pierre Waldeck-Rousseau. Et encore, il pouvait y avoir des interdictions de syndicalisation. Au début du XXe siècle, Georges Clemenceau, alors "Premier flic de France", interdit aux fonctionnaires, notamment les enseignants, à se syndiquer, sous peine de révoquation voire davantage. Du coup, on peut comprendre qu'ils montrent les crocs quand il y a des projets de loi concernant des secteurs d'activité, la représentativité, la gestion de la Sécu, etc.
Mais un dernier reproche leur colle à la peau. C'est qu'à force de vouloir réduire le temps de travail et des hausses de salaires, ils sont accusés de créer du chômage. Quelle blague! Il faut rappeler que du côté du temps de travail, ce sont les parlementaires qui ont réduit le temps de travail, pas les syndicalistes. Puis la tendance historique du mode de production capitaliste est que le temps de travail se réduise, et ça ne fait pas forcément du chômage de masse car il y a des pays où la durée de travail hebdomadaire est inférieure à celle de la France et ils ont un taux de chômage plus faible que dans l'Hexagone.
Finalement, soyons plus justes et plus curieux au sujet des syndicats mais il faudra que ces derniers sortent de leur logique bureaucratique qui les étouffe à petit feu et songent à se renforcer plutôt que de se disperser.
Quand le syndicalisme, point d'appui historique de la plupart des avancées émancipatrices, s'efface, tout se dégrade, tout se déplace. Son anémie ne peut qu'aiguiser l'appétit des détenteurs...