Face à une Union européenne qui ne cesse d'être carnassière, tout en restant dans un marasme économique et social, faudra-t-il que les franges extrêmes de la classe politique se retrouvent autour d'une table pour élaborer un projet commun? Certains, comme l'économiste Jacques Sapir, avancent cette idée.
"Faire bouger les lignes!" Voilà une phrase longtemps utilisée dans la bouche de Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre socialiste qui avait quitté le PS au moment du traité de Maastricht (1992-1993) et qui est parfois interprétée comme un dépassement du clivage droite-gauche, notamment sur la question européenne et du rapport avec l'euro. L'économiste français Jacques Sapir, spécialiste de l'euro et de l'économie russe entre autres, en fait un écho qui peut mener à la polémique, aux yeux de certains lecteurs.
Une Grèce soumise
Avant d'en venir au papier de Sapir qui fait des remous sur les réseaux sociaux, il faut revenir au contexte dans lequel il a été publié. Et ce contexte, c'est la Grèce. En effet, le Premier ministre, Alexis Tsípras, annonça sa démission jeudi 20 août. Cet aveu d'impuissance de sa part masque une droitisation de Syriza, la coalition de gauche radicale dont il en est le leader. Droitisation qui peut s'illustrer à travers tous les renoncements du gouvernement après le référendum du 5 juillet, où le "Non" l'avait pourtant emporté. Le dernier d'entre eux étant la privatisation de 14 aéroports régionaux au profit d'un consortium allemand. Or, l'Allemagne est le pays qui tient le plus à ce que la Grèce respecte une politique d'austérité sans faille, même avec un gouvernement de gauche radicale, car Berlin sait combien Athènes est attaché à l'euro, même si cela semble être de moins en moins évident aux dires de Sapir, de l'ancien ministre des Finances du gouvernement Tsípras Yanis Varoufakis, ou d'autres économistes.
Il n'empêche que cette décision est la goutte d'eau qui fait déborder le vase pour l'aile gauche de Syriza. Celle-ci a fait scission de la coalition, pour former un autre parti, Unité populaire, en hommage à la liste de gauche qui permit l'élection de Salvador Allende au Chili en 1970. Il comporte 25 députés, qui se réfèrent au référendum du 5 juillet, et aux engagements qui avaient mené à la victoire de Syriza le 25 janvier 2015. À croire que Tsípras agit comme Mitterrand après le 10 mai 1981, le cynisme accouplé à la jeunesse. Mais, je me répète, cette histoire indique bien que c'est soit l'euro tel qu'il est aujourd'hui, soit la gauche radicale. L'un des deux doit être tué!
Rassemblement style CNR
Maintenant que le (bref) rappel est fait, passons au papier en question, qui est une interview accordée par Sapir au Figarovox, une filiale du journal Le Figaro. Dans cette interview (cf lien ci-dessous, pour que vous en jugiez par vous-même), l'économiste analyse la situation grecque de telle manière à ce qu'il soit évident que c'est une victoire par K-O de la technocratie européenne, et de la ligne orthodoxe, défendue par l'Allemagne et certains pays du Nord. Et pour éviter que cela s'étende sur d'autres pays - Varoufakis parlant de la France comme cible ultime -, Sapir évoque l'idée de "fronts de libération nationale", défendue par l'économiste italien Stefano Fassina, qu'il cite à plusieurs reprises, rappelant que ce dernier, ancien vice-ministre de l'Économie et des Finances du gouvernement Letta, claqua la porte au moment où Matteo Renzi devient Président du Conseil (équivalent transalpin du Premier ministre), et que ces dits fronts s'axent sur une position contre l'euro actuel, et ensuite, une réorganisation des structures économiques et sociales.
Dans le cas français, Sapir souligne le rapprochement entre Chevènement et Nicolas Dupont-Aignan sur ce sujet, avec pour symbole la présence du premier à l'université d'été de Debout la France, le parti présidé par le second. Mais selon l'économiste:
- "À terme la question des relations avec le Front National, ou avec le parti issu de ce dernier, sera posée. Il faut comprendre que très clairement, l’heure n’est plus au sectarisme et aux interdictions de séjours prononcées par les uns comme par les autres."
Et il y a un précédent historique qu'il fait rappeler aux lecteurs, c'est le programme du Conseil national de la Résistance (CNR), durant la deuxième guerre mondiale. Celle-ci avait un objectif de long terme, et ce, avec des composantes politiques diamétralement opposées, qui gardèrent leur autonomie politique:
- "La Résistance ne se posait pas seulement pour objectif de chasser l’armée allemande du territoire. Elle avait conscience qu’il faudrait reconstruire le pays, et que cette reconstruction ne pourrait se faire à l’identique de ce que l’on avait en 1939. [...] Dans le CNR il y avait des communistes aux militants de l’Action Française."
Un "compromis de classes"
C'est là où se trouve la polémique. Et cela choque sur les réseaux sociaux. Des militants Front de gauche sont les principaux critiques à cette idée. Mais ils ne sont pas les seuls. D'autres sont plus critiques envers Sapir, mais de manière obscène. En voici un exemple pathétique:
Avec Jacques Sapir, illustration que la gauche pro-Poutine et anti-€ est prête à l'alliance avec le FN #rougebrun http://t.co/ILkPP5l3fH
— Jean Quatremer (@quatremer) 22 Août 2015
Personnellement, je n'adhère pas à l'idée de convergence avec le FN sur l'euro, car j'estime, selon moi, que ce parti passéiste joue sur la nostalgie sans indiquer qu'en fait, ce n'était pas mieux avant car on était dans une logique de "compromis de classes", et que la tactique "gauchisante" depuis la prise de pouvoir de la fille Le Pen irrite son père et la vieille garde historique, très libérale et non étatiste. Et avec les péripéties pathétiques dans ce parti ces derniers mois, cela donne l'impression de la revanche de Röhm sur Hitler (point Godwin, c'est fait!). Néanmoins, Sapir a raison de poser la question de manière loyale car après tout, le précédent du CNR a eu des résultats.
Mais c'est là que je pourrais me permettre de lui faire un reproche (qu'il sait déjà à travers mes tweets qui lui étaient destinés). C'est que le CNR était loin d'avoir une composition homogène. Il était majoritairement composé de résistants communistes, socialistes et de gaullistes de gauche. L'Action Française pesa très peu dans l'orientation économique et sociale du CNR, contrairement aux pôles cités auparavant, plus les démocrates-chrétiens et les radicaux. En plus, elle était divisée car nombre de ces militants avaient soutenu les allemands sous l'Occupation, et sa figure intellectuelle, Charles Maurras, fut condamnée à la Libération, pour collaboration, au même titre que le reste du régime de Vichy. Puis quand même, dans cette optique, c'est encore et vouloir garder l'État parce qu'il serait garant de l'intérêt général. Or, cet agent économique spécial répond à un service particulier qui est celui de la classe possédante. Ces trois dernières décennies nous appelent à relire ce que pensaient les marxistes et les anarchistes, au moment où ils formèrent la 1ère Internationale et qu'ils appelèrent à plus ou moins long terme, à la destruction de l'État pour former une société sans classes.
Toujours est-il que Sapir est quelqu'un dont il faut lire les articles, et je sais qu'il aime bien ce blog, qu'il estime de qualité. Ce qui est un signe de reconnaissance, malgré les sentiments qui se font à son égard. En tout cas, je vous invite, chers lecteurs, à lire ceci et surtout l'article de Sapir, afin que vous puissiez en juger par vous-même.
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