Pendant que l'expédition d'Égypte, censée aller les Indes et coloniser l'Orient, se retrouve coincée par la mer, une autre force française débarqua en Irlande pour menacer plus directement les intérêts anglais et, pourquoi pas, aider à la formation d'une république irlandaise, après une victoire sur les troupes anglaises à Castlebar. Un espoir pour le moins fragile.
Comment contraindre l'Angleterre à signer la paix et reconnaître la République et la révolution française? Voilà l'épineuse question que se posa le Directoire durant l'année 1798, après avoir réussi à être en paix avec les autres pays européens. L'idée d'une attaque frontale dans la Manche, avec un débarquement massif de troupes, sous les ordres du général Napoléon Bonaparte, était envisagée, avant que le général fisse proposition de s'occuper de l'Égypte, pour la coloniser puis pour aller, à terme, vers les Indes et reprendre des territoires aux Anglais, pour qui le sous-continent indien est une source non négligeable de richesse. Si la traversée de la Méditerranée fut réalisée sans anicroche et l'occupation du pays effective après la victoire de la bataille des Pyramides, l'expédition de Buonaparte (orthographe originelle du natif d'Ajaccio) se retrouva coincée suite à la catastrophe navale d'Aboukir, avec la flotte de François Paul de Brueys d'Aigalliers détruite par la marine anglaise, commandée par Horatio Nelson, empêchant tout envoi de vivres, de renforts pour l'armée d'Orient et compliquant la tâche de Bonaparte et du Directoire envers l'Angleterre.
Le point faible irlandais
Cependant, dans son objectif de battre l'Angleterre, le Directoire relança l'idée d'une expédition en Irlande, considérée comme le point faible d'Albion. Plusieurs raisons à cela: d'abord, l'île est majoritairement composée de catholiques et malgré la rupture entre l'Église et la révolution française, le fait que cette révolution eût lieu dans un pays catholique fut une source d'inspiration face au pouvoir protestant à Londres. Ensuite, les irlandais avaient obtenu une certaine autonomie de la part de l'Angleterre, notamment en matière de droit de vote pour les catholiques. Cela étant, ça restait un suffrage censitaire - les riches payant le cens, un impôt, pouvaient voter -, excluant encore nombre de personnes. Enfin, des irlandais formant la société des irlandais unis, indépendamment de leurs convictions religieuses, montaient en puissance et le leader du mouvement, Theobald Wolfe Tone, avait établi un contact avec le Directoire, pour le convaincre d'envoyer une expédition en Irlande, avec pour objectif de former une république irlandaise qui serait devenue une "république sœur", à l'instar de la République batave (actuels Pays-Bas) ou la République cisalpine (nord de l'actuelle Italie).
Une première tentative d'expédition fut organisée en 1796 du côté de Brest, le principal port militaire français. Elle fut placée sous le commandement de Lazare Hoche, héros de l'armée révolutionnaire à Wissembourg (1793) et Quiberon (1795), avec 15.000 soldats à ses ordres, transportés par la flotte de l'Atlantique, menée par le vice-amiral Louis-Thomas Villaret de Joyeuse. Si cette expédition était ambitieuse, elle fut un lamentable échec. D'abord, Hoche s'entendait mal avec Villaret de Joyeuse et demanda son remplacement, espérant avoir Louis-René de Latouche-Tréville à la place. Mais ce dernier était mis de côté par Laurent Truguet, ministre de la Marine, en raison de contentieux entre les deux hommes. À la place, ce fut Justin-Bonaventure Morard de Galles qui fut nommé à la tête de la flotte basée à Brest. Ensuite, ce problème de commandement de la flotte provoqua du retard dans la préparation de l'expédition, déjà elle-même retardée avec les désertions de soldats, plus des problèmes d'approvisionnement et des impayés auprès des ouvriers de l'arsenal de Brest, ralentissant la conception ou la réparation de navires. Sans compter le fait que des navires venant de Toulon durent se poser à Rochefort face au blocus britannique. Ce qui fit qu'au lieu du mois d'octobre, l'expédition partit de Brest mi-décembre 1796. Or, les conditions météo étaient exécrables, obligeant la majorité des navires à rentrer à Brest, même si quelques navires rejoignirent les côtes irlandaises avant de rebrousser chemin, face à la présence de navires de la Royal Navy.
Cette fois-ci, le Directoire réduisit la force d'expédition à un millier d'hommes, sous les ordres du général Jean-Joseph Amable Humbert, qui avait servi dans l'Ouest contre les chouans en 1795. La flotte transportant cette expédition partit depuis Rochefort le 6 août 1798, réussissant à déjouer le blocus britannique et débarqua en Irlande, dans la bourgade de Killala, dans l'Ouest de l'Irlande, le 22 août 1798. Rejoints par 1.000 rebelles irlandais, cette armée franco-irlandaise de 2.000 hommes (seulement) fit face à 6.000 anglais à Castlebar le 27 août 1798 (10 Fructidor an VI dans le calendrier républicain), infligeant une défaite aux troupes d'Albion, grâce aux rebelles irlandais qui conseillèrent les soldats français pour prendre à revers le dispositif défensif anglais pris de court, et l'intervention de la cavalerie française permit la capture de canons, de fusils et autres équipements militaires face à des anglais, bien qu'en supériorité numérique, prirent la fuite, au point que la bataille fut surnommée depuis "la course de Castlebar", pour se moquer de la fuite des soldats britanniques.
Cette victoire, peu après le débarquement des troupes françaises, permit à des miliciens irlandais de se regrouper auprès de ces nouveaux alliés, instaurant la république du Connaught, espérant par la suite s'étendre sur l'Irlande toute entière. Mais une république bien fragile tant les Irlandais en mesure de prendre les armes ne sont pas forcément aguerris, ni rassurés par le faible nombre de soldats français envoyés sur leur sol, même si Humbert envoya une demande de renforts auprès du Directoire, puis qu'il restait des milliers de soldats anglais en Irlande, capables d'écraser la rébellion et le soutien français présent dans l'île. Néanmoins, cette victoire de Castlebar illustra combien l'Irlande peut servir les intérêts du Directoire dans sa guerre contre l'Angleterre.