Bien que le parti historique de lutte contre l'apartheid maintienne sa majorité au Parlement, il connaît un nouveau recul de cette majorité par rapport aux précédentes élections, marquées également par des violences et une poussée de l'abstention, signes de la fragilité de l'Afrique du Sud contemporaine.
Il y a cinq ans, je m'étais questionné sur les résultats des élections générales en Afrique du Sud, consacrant une victoire du Congrès national africain (African national congress, ANC), dirigé alors par Jacob Zuma, avec 62,2% des voix, en me demandant si ce n'était pas une victoire à la Pyrrhus, car le parti de Nelson Mandela avait 65,9% des voix en 2009. Cinq ans plus tard, même questionnement, vu que l'ANC, pour la première fois depuis 1994, année des premières élections multiraciales en Afrique du Sud, gagne des élections générales avec moins de 60% des voix - 57,5% plus exactement -. Ce qui fait que s'il garde une majorité au Parlement, elle se réduit sensiblement avec désormais 230 députés sur 400, contre 249 il y a cinq ans.
Désenchantement progressif
Certes, Cyril Ramaphosa, nouveau leader du parti et président de la nation arc-en-ciel depuis la démission de Zuma en 2018, englué personnellement dans des affaires judiciaires (corruption, détournement de fonds publics, viol) depuis plusieurs années, est assuré de rester président. Mais il n'a pas véritablement stoppé le désenchantement progressif des Sud-africains, notamment les noirs, envers l'ANC, bien que plusieurs analystes estiment que si Zuma était encore au pouvoir au moment de ces élections, le score de l'ANC aurait été encore plus faible. En tout cas, plusieurs raisons peuvent être indiquées au sujet de ce recul manifeste de l'ANC:
- Les conditions économiques et sociales en Afrique du Sud (ou Azanie pour les milieux panafricains) n'ont pas évolué, voire ont même empiré. Le taux de croissance du produit intérieur brut est inférieur à 2% ces cinq dernières années, et même en 2018, ce taux était de 0,8% selon Statistics South Africa - l'équivalent sud-africain de l'Insee français -, contre 1,4% l'année précédente. Quand au taux de chômage, il était de 26,9% en 2018 alors qu'en 2014, il était de 24,9%. Ce qui montre une inefficacité patente à lutter contre le chômage de masse, mais dans un monde capitaliste, le chômage est une nécessité, soit dit en passant. Néanmoins pour un parti comme l'ANC qui s'est orienté vers le social-libéralisme, en dépit de son alliance avec le Parti communiste sud-africain (SACP), c'est un échec. C'est d'autant plus cinglant qu'en 1994, le taux de chômage était bien plus faible.
- Avec l'exercice du pouvoir, dès le mandat de Mandela (1994-1999), l'ANC a renoncé à une orientation socialiste, inspirée de la charte de la liberté de 1955, qui incluait notamment une nationalisation des mines, des banques ou encore une réforme agraire. Et avec les affaires de corruption qui pullulent dans le parti, c'est l'établissement d'une bourgeoisie noire, associée à la bourgeoisie blanche - afrikaners ou anglophones - qui a tiré profit de cette donne politique. Ramaphosa en est l'exemple le plus frappant. Ancien syndicaliste, il est devenu un affairiste important et controversé puisqu'il était membre du conseil d'administration de la compagnie minière Lonmin, gérant la mine de Marikana, au moment de la grève des mineurs en août 2012, violemment réprimée par la police - 34 morts -. Faut croire que ses excuses, en mai 2017 n'ont pas convaincu. En tout cas, Winnie Mandela, morte l'année dernière, était lucide sur la pente déclinante que prend son parti.
- Pour tenter de sauver les apparences, le pouvoir s'est mis dans une tournure nationaliste. Ces élections ont été marquées par des actes xénophobes à l'égard des immigrés venant d'autres pays africains (Zimbabwe, République démocratique du Congo, Malawi, etc.), notamment dans la province du KwaZulu-Natal, au sud-est du pays (cf liens n°1, n°2). Même si Ramaphosa s'en défausse, il est accusé d'avoir jeté de l'huile sur le feu. Malheureusement, ce genre d'histoire n'est pas nouveau en Afrique du Sud. Par exemple, en 2015, de pareilles scènes eurent lieu, avec leur lot de morts et des amis sud-africains ayant des origines congolaises m'avaient affirmé qu'ils devaient faire gaffe pour leur gueule.
Vu le recul notable de l'ANC, qui en a profité? Pas l'Alliance démocratique. Ce parti de droite, principal parti d'opposition, a même reculé, avec 20,77% des voix et 84 députés, contre 22,2% des voix et 89 députés en 2014. En fait, le parti des Combattants pour la liberté économique (Economic freedom fighters, EFF), qui complète le podium de ces élections, monte en puissance avec 10,79% des voix et 44 députés, contre 6,4% des voix et 25 députés il y a cinq ans. Ce parti, dirigé par Julius Malema, ancien président de la ligue des jeunes de l'ANC et homme à frasques, avec du racisme anti-blancs dénoncé à plusieurs reprises et des accusations de détournement d'argent public, use de la rhétorique panafricaine, anti-impérialiste et marxiste. Mais vu le recul de l'ANC, le gain d'EFF est assez faible.
Finalement, c'est du côté de l'abstention qu'il faut regarder. Et en fait, c'est l'autre gagnante de cette phase électorale. En 2014, le taux d'abstention était de 26,6%, ce qui était un record. Cinq ans plus tard, ce taux a bondi à 34%! C'est la première fois depuis 1994 que le taux d'abstention dépasse la barre des 30%. Et c'est un signe bien plus inquiétant pour la démocratie sud-africaine que le recul de l'ANC, dont la politique menée et les affaires de corruption le concernant ont produit ce phénomène qui devrait sauter aux yeux des observateurs de la nation "arc-en-ciel". Et ce n'est pas demain la veille que l'ANC semble parti pour convaincre ces abstentionnistes de revenir voter.
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