Suite à l'attentat de Nice, la France prolonge de six mois l'état d'urgence. Ce même dispositif a été décrété en Turquie, quelques jours après un putsch militaire avorté. Rien ne dit que ça serve pour la défense nationale, ni pour la démocratie et la laïcité dans ces deux pays.
L'exception tend à devenir la règle. C'est en tout cas l'interprétation que ça peut donner au sujet de l'État d'urgence, une juridiction qui facilite les interventions des forces de l'ordre envers des citoyens considérés comme "suspects", notamment dans le cadre d'une lutte contre le terrorisme. Depuis les attaques du 13 novembre à Paris, ce régime a été mis en place par le président François Hollande, plusieurs fois voté à l'Assemblée nationale. Dernièrement, mardi 19 juillet, les députés ont largement voté la poursuite de l'État d'urgence pour six mois (cf lien n°1), en réaction à la tragédie de Nice, au soir du 14 juillet.
Une tendance autoritaire
Le principe de l'État d'urgence est de garantir la sécurité au sein du territoire national. Mais maintenir ce système sert surtout à orienter les esprits ailleurs, faisant indiquer une menace extérieure via le terrorisme. Ce qui est assez logique et usuel. En fait, cette juridiction sert surtout à viser, par des assignations à résidence ou des sanctions administratives, des personnes qui n'ont rien à voir avec le terrorisme. L'exemple des militants écologistes assignés à résidence au moment de la COP21, en novembre-décembre 2015, est significatif d'une volonté de limiter certains débats.
De même qu'en renforçant les pouvoirs des forces de l'ordre, ça fait augmenter le risque de débordements et d'abus de toutes parts, comme c'est le cas entre certains manifestants - "casseurs" - puis les policiers et gendarmes, au sujet des manifestations contre le projet de loi travail depuis la fin avril 2016. Enfin, maintenir l'État d'urgence, c'est mépriser les morts de Nice car le camion qui a écrasé plusieurs dizaines de personnes sur la promenade des Anglais ne devait pas rouler dans cette zone et que le dispositif de sécurité n'était pas conséquent, pour un soir de 14 juillet en plein état d'urgence. Ce qui a obligé M. Hollande à faire volte-face puisque dans l'après-midi qui précédait le drame, il déclara la fin de ce régime d'exception pour le 26 juillet. En tout cas, les opposants à l'État d'urgence, qui ont manifesté sur ce sujet à plusieurs reprises, ont de quoi être écœurés.
Moyen de répression
Cette tendance autoritaire, avec l'État d'urgence, n'est pas propre à la France. Elle est assez similaire en Turquie, d'autant plus que comme la France, la République turque défend le principe de laïcité, et qu'elle est également victime d'attaques terroristes sur son sol, comme lors du 28 juin dernier, à Istanbul. Mais il y a une différence entre Ankara et Paris, c'est que l'État d'urgence en Turquie vient juste d'être mis en place par le président Recep Tayyip Erdogan, pour une durée de trois mois (cf lien n°2) - prolongations à prévoir -, quelques jours après une tentative de putsch par des militaires se réclamant de la pensée de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la république, en 1923.
Cette instauration par le président turc pourrait accentuer la répression qui se fait ces derniers jours dans la fonction publique car plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires (militaires, enseignants, policiers, gendarmes), plus des juges et magistrats, ont été arrêtés ou licenciés. De même que le retour de la peine de mort pourrait se faire si l'Assemblée nationale, composée majoritairement de membres du Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan, vote un tel projet de loi.
Enfin, l'État d'urgence, au nom de la défense nationale et de la démocratie, pourrait bien encore servir d'instrument de défense sociale et de renforcement autoritaire car le président turc a une occasion en or pour réviser la Constitution, un objectif qu'il a souvent avoué vouloir le réaliser. Puis c'est une opportunité pour assigner à résidence et enlever l'immunité parlementaire aux députés du Parti démocratique des peuples (HDP), un parti de gauche radicale pro-kurde; alors que l'AKP, parti conservateur et nostalgique de l'empire Ottoman, veut une lutte sans merci contre la minorité kurde de Turquie, en raison du conflit syrien, qui a poussé les kurdes de Syrie à prendre les armes pour se défendre.
Au final, l'État d'urgence semble être peu compatible avec la démocratie, surtout si cette dernière cherche à s'exprimer sur le champ politique et social. Et dans ce cas, la répression n'attend pas. Elle montre les crocs pour dissuader toute opposition, même la moins subversive qui soit, de bouger.
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