L'évacuation partielle des habitants des îles de Saint-Martin et Saint-Barthélémy, suite au passage de l'ouragan Irma, et puis le traitement médiatique réalisé montrent combien tout le monde n'est pas logé à la même enseigne en fonction de sa couleur de peau. Surtout face aux institutions chargées de sécuriser les personnes.
"Tous les animaux sont égaux mais certains plus égaux que d'autres". Cette formule de l'écrivain britannique George Orwell dans La ferme des animaux sied parfaitement à la situation actuelle du côté de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy. Depuis le passage de l'ouragan Irma aux alentours de ces îles, plus Barbuda, mercredi 6 septembre, le spectacle de désolation qu'a laissé l'ouragan dans son sillage est digne d'un champ de bataille, où la survie est la règle n°1 et où chacun tente de sauver ce qui peut l'être. Et à ce jeu-là, les blancs ont un capital symbolique plus important que les noirs. Ce qui fait qu'ils sont plus rapidement évacués, y compris s'il s'agit de touristes étrangers, comme l'indique le reportage de La 1ère sur ce sujet, évoquant d'ailleurs une décision préfectorale à travers le témoignage du capitaine du bateau amenant des rescapés en Guadeloupe.
Malaise à #guadeloupe : Un bateau de rescapés #StMartin #Irma est arrivé avec des dizaines de touristes américains @guadeloupe_1ere pic.twitter.com/rhH3MycDSd
— La1ere.fr (@la1ere) 9 septembre 2017
Biais médiatique
Ce reportage est d'autant plus exceptionnel que le traitement fait par les mass media tourne sur un angle prioritaire, la sécurité face au pillage. Et de manière sous-entendue, un pillage systématiquement réalisé par des noirs car les médias dominants ont recueilli exclusivement - à deux ou trois exceptions près -, des témoignages de citoyens blancs, originaires de l'Hexagone et s'étant installés sur Saint-Martin ou Saint-Barthélémy depuis quelques années, tout au plus, pour diverses raisons (exotisme, fiscalité, etc.), se plaignant du manque de réponse de l'État en matière d'envoi de gendarmes et de militaires, ainsi que du manque de pompiers et de produits de première nécessité pour les survivants. La réponse étatique, au service de la classe dominante, ne s'est pas faite attendre. Gérard Collomb, ministre de l'Intérieur, annonce que plusieurs centaines de forces de l'ordre (social), dont 240 gendarmes, seront envoyées dans les prochains jours sur Saint-Martin notamment.
Toujours est-il que l'insistance médiatique sur les pillages, phénomène de court terme, et le manque d'anticipation de l'État qui est reproché par les habitants aisés (blancs), masque d'autres stigmates. Celles de l'esclavage, qui structure depuis plusieurs siècles, donc sur du long terme, la domination d'un groupe social sur un autre pour une raison pigmentaire et que les effets de cet esclavage négrier, tant aux Caraïbes qu'ailleurs, sont encore présents de nos jours. Y compris sous un angle économique, étant donné que l'esclavage négrier a préparé le terrain pour édifier le capitalisme. Ce qui le rend spécifique par rapport à d'autres systèmes d'esclavage, en particulier avec l'esclavage pratiqué par les arabo-musulmans, souvent utilisé par des personnalités européennes voulant atténuer l'esclavage occidental (cf lien). Enfin, cette exigence de sécurité pour les résidents blancs et un privilège qui leur est accordé en matière d'évacuation illustrent ce que Stokely Carmichael appelait le racisme institutionnel. C'est-à-dire que les institutions rendent davantage (voire exclusivement) service à un groupe délimité au niveau social et pigmentaire. Mais bien sûr, cet état de fait est minoré par le groupe dominant, qui retourne ça contre celles et ceux qui en sont victimes, en les accusant de racisme inversé, via les relais médiatiques mainstream.
Une longue réparation
Dans les prochains mois, une phase de réparation, de rénovation immobilière devra nécessairement avoir lieu, bien qu'elle risque d'être entrecoupée par de nouveaux cyclones et ouragans de type Irma à l'avenir, étant donné que la saison des cyclones dans l'Atlantique nord est entre mai et novembre. Au moins, les ménages devraient être vite indemnisés vu que l'état de catastrophe naturelle a été signé par le gouvernement depuis le vendredi 8 septembre. Toujours est-il que la rénovation des habitations à Saint-Martin et Saint-Barthélémy, pour prendre le cas de ces îles sous administration française, devrait coûter plusieurs milliards d'euros d'investissement. Un investissement davantage public que privé, vu les risques que ça peut comprendre. De même qu'il faudra nécessairement revoir les normes anticycloniques et antisismiques des lotissements sur ces territoires car la région des Caraïbes est également soumise à de violents tremblements de terre. Et celui ayant eu lieu au Mexique, vendredi 8 septembre, est là pour le rappeler. Peut-être que les autorités françaises pourraient s'inspirer du Japon. À la fois exposé aux séismes et aux typhons (équivalent asiatique des ouragans), l'Empire du Soleil levant a continuellement fait évoluer ses normes anticycloniques et antisismiques, afin que les fondations soient les plus solides possibles, et donc les moins mortelles en cas de séisme ou de typhon. Néanmoins, c'est loin d'être infaillible. Le séisme du 11 mars 2011, suivi d'un immense tsunami ravageant la côte Est et causant la catastrophe nucléaire de Fukushima est là pour le rappeler.
Mais là encore, tout le monde ne sera pas logé à la même enseigne. Les premiers bâtiments rénovés seront ceux qui ont plus ou moins résisté au passage de l'ouragan Irma et sur quoi ça planchera en priorité, c'est-à-dire des villas et des résidences hôtelières, afin de remettre à flot une économie exsangue car fortement dépendante du tourisme. Et puis, bien plus tard, si les crédits alloués le permettraient encore et que des politiques d'austérité ne viendraient pas contrecarrer, les habitations des quartiers populaires seraient davantage aux normes pour que les habitants les plus pauvres, noirs de facto, puissent y vivre décemment, même en cas de passage d'un ouragan de type Irma. Bref, une logique de confinement, qui montre combien une logique d'apartheid s'applique en France, ce qu'un certain Manuel Valls, alors Premier ministre, avait avoué en janvier 2015, ce que certains politiciens lui avaient reproché.
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