L'utilisation du mot apartheid par le Premier ministre Manuel Valls, suite aux événements du côté de Charlie Hebdo, suscitent une polémique lancée par l'ancien président Nicolas Sarkozy. Et pourtant, ce mot illustre une certaine réalité.
La polémique de la semaine est signée Valls-Sarkozy. Durant ses vœux à la presse, le Premier ministre, revenant sur les problèmes qui se sont posés dans des établissements scolaires de banlieue suite à l'attaque terroriste au journal Charlie Hebdo, a évoqué le développement d'un apartheid - économique et social -, dans la mesure où les banlieues, notamment autour de Paris, concentrent un fort niveau de chômage et une répartition très inégalitaire de la richesse, davantage criante qu'ailleurs en France.
Une "faute" de parler d'apartheid
Ce genre de propos, dans une République bourgeoise, a du mal à passer pour certains. En particulier, l'ancien président Nicolas Sarkozy, qui parle d'une "faute", dans une interview accordée au 20h de France 2, mercredi 21 janvier. Ce qui est assez cocasse quand on y pense, vu que quelques minutes avant, il parlait d'un "choc des civilisations" - occidentale vs musulmane selon le schéma habituellement présenté - et dont les djihadistes ayant frappé au début du mois seraient les représentants de la "barbarie".
Or, ces terroristes ont grandi en France, à l'école française et des meneurs politiques, tels Sarkozy ou l'actuel président François Hollande, jouant les va-t-en guerre, sont intervenus dans des pays transformés en bourbiers pour eux, en nids de terroristes dangereux pour la France. C'est un retour de bâton. En tout cas, l'histoire de l'unité nationale (absence de revendications) n'a pas duré longtemps après ce massacre et la marche républicaine qui s'en est suivie.
Un apartheid bien ancré sociologiquement en Afrique du Sud...
Parler d'apartheid n'est pas anodin. Et Sarkozy joue la vierge effarouchée car on fait le lien avec le système politique, racial, économique et social appliqué officiellement par la minorité blanche en Afrique du Sud, de 1948 à 1991. Maintenant, il est censé avoir disparu dans la nation "arc-en-ciel" depuis que le principal anti-apartheid, le Congrès national africain (African national congress, ANC, gauche), est au pouvoir. Or, l'ANC a certes mis fin à l'apartheid politique, mais pas à l'apartheid économique et social. Ses cadres dirigeants se sont élevés socialement, formant avec d'autres une bourgeoisie noire qui s'est alliée avec la bourgeoisie blanche, laquelle détient encore plus des 3/4 de l'économie sud-africaine, ce qui fait qu'une désaffection croissante envers l'ANC s'organise au sein de la classe ouvrière Sud-africaine, parfois réprimée par le sang par le pouvoir.
... mais également en France
En France, cet apartheid existe au niveau social, sans qu'on ose le remarquer et pourtant, il est expressif. Quelle preuve dois-je vous apporter? La répartition des députés par catégorie socioprofessionnelle par exemple. L'actuelle législature se compose essentiellement de cadres, de fonctionnaires (fonction publique, enseignants) et de professions libérales (médecins, avocats, etc.). Rien que pour ces trois groupes sociaux, dont on peut considérer arbitrairement qu'ils sont d'un niveau socialement élevé, ils représentent 374 députés sur 575 (alors que la chambre est censée être composée de 577 députés, 2 manquent à l'appel donc). Soit 65% des élus de l'Assemblée nationale. Si on rajoute les chefs d'entreprise (30 députés) et les journalistes (7), obtient 411 députés sur 575 (71,5%).
C'est une sur-représentation du "petit nombre", comme l'aimait le pseudo-philosophe des Lumières Voltaire! L'Observatoire des inégalités va même plus loin et estime, pour sa part, que les élus issus des employés et des ouvriers, sont moins de 3% des députés de la législature, alors qu'ils représentent la majorité de la population active.
Représentation biaisée et blanche
Tout ça pour dire que s'offenser sur un mot relatant pourtant un fait (pas forcément combattu d'ailleurs), c'est être hypocrite. De même qu'il y a une sur-représentation des groupes sociaux formant la classe sociale dominante, il y a une sur-représentation des députés blancs, par rapport à la question de la couleur, qui est gênante dans l'Hexagone. Selon certaines estimations, il y aurait 3 à 4 millions de français ayant des racines africaines et caribéennes, plus 5 à 6 millions de français d'origine maghrébine. Difficile à vérifier vu que les statistiques "ethniques" sont officiellement interdites par le Conseil Constitutionnel (mais officieusement, ça se fait?). Donc, cela suppose au maximum 10 millions, en prenant ces chiffres. Soit en principe 15% de la population française (environ 65 millions d'habitants).
Si cela se traduisait en représentation politique, il devrait y avoir 87 députés d'origine Afro-antillaise ou Maghrébine. Est-ce le cas? Clairement non! Dans l'actuelle législature, il devrait y avoir maximum 40 à 50 députés ayant des origines évoquées tantôt. C'est dire si on est loin du compte! Et cela donne de la crédibilité au concept de "racisme institutionnel", développé par le meneur des Black Panthers Stokely Carmichael dans les années 1960, où il critiqua la teneur des institutions "démocratiques", qui servent la domination des blancs sur les autres couleurs de peau et ce d'autant plus s'ils ont un niveau social élevé. Ce qui rejoint, quelque part, la conception qu'avait Marx de l'État, qui servirait seulement la classe dominante, et non l'intérêt général, à ses yeux.
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Liste des députés par catégorie socioprofessionnelle - Assemblée nationale
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