Les positions de Sahra Wagenknecht, co-présidente du groupe Die Linke au Bundestag, sur l'immigration suscitent un débat important à gauche entre ceux qui estiment que ses positions, similaires à celles de Jean-Luc Mélenchon, se veulent être une dénonciation de l'attitude des capitalistes à l'égard des travailleurs immigrés et nationaux, puis ceux qui pensent que ce genre de rhétorique sert finalement l'extrême-droite, avec une timidité à parler d'impérialisme.
Le débat fait rage à gauche ces derniers jours. En cause, les positions prises par Sahra Wagenknecht, co-présidente du groupe Die Linke au Bundestag, au sujet de l'immigration, qui se veulent critiques sur la manière dont elles sont menées par la chancelière Angela Merkel depuis 2015, dénonçant notamment le cynisme du patronat allemand qui tient à avoir une main-d'œuvre immigrée pour pérenniser la compression salariale outre-Rhin, initiée par le Parti social-démocrate (SPD) sous Gerhard Schröder, au début des années 2000 avec les lois Hartz. C'est aussi une façon pour la députée qui vient de lancer le mouvement Aufstehen de vouloir convaincre le prolétariat allemand, notamment dans la vallée de la Ruhr et dans les Länder de l'ex-République démocratique allemande (RDA) de ne pas se laisser aliéner par la rhétorique ouvertement raciste et capitaliste du parti Alternative für Deutschland (AfD), devenu la troisième force politique outre-Rhin, après les élections législatives de 2017, où la CDU de Merkel connut un fort recul électoral, mais moindre que celui du SPD. Puis le contexte de tensions pigmentaires s'est aggravé ces derniers mois, avec l'élimination de l'Allemagne au premier tour de la Coupe du monde de foot en Russie et une opinion publique prenant en grippe des joueurs comme Jérôme Boateng, Sami Khedira ou Mezut Özil, ce dernier ayant pris sa retraite internationale face au défouloir des réseaux sociaux contre lui, avec des mots qui font mouche: "Je suis allemand quand nous gagnons, mais je suis un immigré quand nous perdons"; plus des manifestations d'extrême-droite, du côté de Chemnitz, dans l'ex-RDA, ont tourné à la chasse aux exilé(e)s durant plusieurs jours, instillant la peur chez ces derniers et laissant poindre, selon des militants de Die Linke, une résurgence des néo-nazis.
Ambiguïté?
Face à ce contexte, des membres de Die Linke, autour de Wagenknecht, estiment que lancer un mouvement comme Aufstehen permettrait de renouveler une force politique qui semblerait avoir atteint ses limites, en s'inspirant de mouvements politiques qui ont pris de l'importance en Europe comme Podemos en Espagne ou la France insoumise en France. C'est-à-dire, une force politique qui se veut anticapitaliste, critique de la construction européenne actuelle et débattant de la question du maintien ou non de l'euro comme monnaie unique, etc. Mais la question migratoire rend les choses complexes et un article du journal Le Monde sur ce que préconiserait Aufstehen sur ce sujet a mis le feu aux poudres (cf lien n°1). En réponse, des soutiens de Wagenknecht et de Mélenchon, dont les positions sur l'immigration sont assez similaires car comme sa camarade allemande, il souhaite s'attaquer aux causes de cette dite vague migratoire à destination de l'Europe, citent Libération et Médiapart, où figurent des citations de Wagenknecht indiquant combien sa ligne politique sur l'immigration diffère de celle de l'extrême-droite, tenant à accueillir des exilé(e)s, mais en tenant à rappeler l'existence et le respect des frontières, comme le souligne l'économiste Bruno Amable dans un entretien accordé au pure player Le Média (cf liens n°2, n°3, n°4). Si on est un brin taquin, ces propos forment un écho à la phrase de l'ancien Premier ministre Michel Rocard: "La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais elle doit y prendre sa part".
En dépit de ces citations, en opposition aux affirmations du Monde, il n'en demeure pas moins une dose d'ambiguïté. Wagenknecht, comme Mélenchon, explique que l'arrivée de réfugié(e)s pousserait irréversiblement à une compression salariale, notamment sur les bas salaires car grand nombre de réfugié(e)s sont considéré(e)s comme peu qualifié(e)s ou incité(e)s à se tourner vers des jobs mal rémunérés, poussant à de la concurrence entre exploitées et illustrant "l'armée industrielle de réserve" qu'est le chômage, théorisée par Karl Marx. Cette affirmation laisse entendre que les immigré(e)s viendraient forcément se substituer aux nationaux sur le marché du travail et une baisse des salaires. Or, la plupart des études économiques montrent que l'effet d'une vague migratoire sur le salaire et le travail sont généralement nuls, et dans peu de cas, très légèrement négatifs. Pourquoi? En fait, les réfugié(e)s embauché(e)s ne remplacent pas des prolétaires nationaux, mais plutôt complètent car ils occupent des jobs que des nationaux ne veulent plus faire, comme l’hôtellerie-restauration, la sécurité, le nettoyage, etc (cf liens n°5, n°6). Sans compter le fait que les immigré(e)s et leurs descendant(e)s sont systématiquement plus exposé(e)s aux difficultés économiques et sociales que les nationaux, comme l'indiquent l'étude sur les discriminations en France en 2016 par France stratégie ou l'enquête du Commissariat général à l'égalité des territoires en 2018 (cf lien n°7).
Même si la vague migratoire à destination de l'Europe est très minoritaire par rapport à l'ensemble du phénomène migratoire mondial, ce que la gauche radicale ne mentionne pas dans ses discours, cette dernière semble faire bien de s'intéresser aux causes de cette arrivée d'immigré(e)s sur le "vieux continent". Mais quelles causes? Tant Mélenchon que Wagenknecht parlent des motivations des patrons des pays développés pour attirer de la main-d'œuvre réduisant "le coût du travail", comme expliqué ci-haut, des traités de libre-échange qui détruisent les agricultures vivrières, ou encore des guerres (civiles ou entre États), obligeant des citoyen(ne)s à prendre le chemin de l'exil de leur terre natale pour survivre. Et si ces personnalités de gauche parlent du capitalisme comme cause, ils ne mentionnent pas ce que Lénine appelait son "stade suprême", à savoir l'impérialisme. À croire qu'ils auraient une pudeur de gazelle à ne pas remettre en cause l'impérialisme pratiqué par leur pays et par d'autres pays dont le niveau de développement économique est similaire! Ce qui est curieux de la part d'une Wagenknecht, économiste de formation et influencée par la pensée de Marx, ainsi que de la part d'un Mélenchon, quoique jacobin, qui était dans sa jeunesse influencé par le trotskysme, un courant formé par Léon Trotski, et s'inscrivant également dans la pensée de Marx.
D'ailleurs, et c'est bien dommage, ils ne semblent pas vouloir mobiliser des intellectuels néo-marxistes comme les théoriciens de la dépendance par exemple. Ces derniers, tels André Gunter Frank, Immanuel Wallerstein, Raúl Prebisch ou feu Samir Amin, ont mis en avant la question des rapports Nord-Sud, où le Nord (pays développés) est dépendant des ressources naturelles du Sud (pays en développement) tout en maintenant ces derniers dans une trappe à pauvreté en mettant du protectionnisme sur les transferts technologiques ou en s'implantant dans les structures économiques et sociales, afin de maintenir une avance amorcée par la colonisation et l'esclavage négrier par exemple; puis où le Sud, ne pouvant véritablement s'enrichir malgré ses réserves naturelles - syndrome hollandais -, se retrouve contraint de voir plusieurs de ses éléments s'exiler car les structures économiques et sociales échappent au contrôle local. À partir de là, il serait plus facile de faire comprendre au prolétariat national que l'immigration est un effet boomerang de l'impérialisme pratiqué par les pays développés et que dans une perspective internationaliste, le prolétariat - local et immigré -, puisse converger pour en finir avec le capitalisme. Ce qui serait une bonne chose, en effet.
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