Âgé de 86 ans, l'ancien président de la République s'en est allé ce 26 septembre. Au-delà de son long parcours politique, jusqu'à atteindre l'Élysée, Jacques Chirac a donné l'image d'un politicien sympathique tout en ayant des casseroles, accentuée avec sa marionnette des Guignols de l'info qui l'a rendu très populaire.
Jacques Chirac n'est plus! Une phrase qui provoque une certaine tristesse en moi, en apprenant le trépas de l'ancien président de la République, mort ce jeudi 26 septembre à l'âge de 86 ans. Comme certain(e)s de ma génération, du moins je l'espère, Jacques Chirac m'évoque Les Guignols de l'info, où sa marionnette était devenue un symbole de l'émission satirique de Canal+, façonnant un personnage populaire dont on se moquait bien volontiers mais qui était vu comme sympathique, notamment avec cette fameuse phrase "mangez des pommes". Ou encore quand il peine à citer les joueurs de l'équipe de France de foot lors de la victoire de la Coupe du monde en 1998. Cela étant dit, un rappel biographique et un exercice critique s'imposent.
Du jeune loup...
Né en 1932 à Paris, de parents corréziens, Chirac fut toujours lié à la Corrèze et à la capitale car, d'une part, il garda une attache profonde à ce département de l'actuelle région Auvergne-Rhône-Alpes, notamment dans la commune de Sarran avec son épouse Bernadette, puis du côté de Paris, où il fît ses études à Sciences Po puis fut le maire de 1977 à 1995. Au niveau politique, son parcours fut assez classique. Je veux dire, celui d'une personne passant de gauche à droite avec l'âge et les ambitions d'un jeune loup. Alors étudiant à Sciences Po, Chirac avait des sympathies communistes, vendant à la criée le journal l'Humanité puis signant l'appel de Stockholm contre l'armement nucléaire. Mais il glissa vite à droite, à travers son service militaire en Algérie, d'abord en soutenant l'idée de l'Algérie française puis se rangeant auprès des gaullistes, progressivement tenants de l'autodétermination des algériens. Le jeune loup aux dents longues, "résonnant comme il y a 40 ans" dit de lui Georges Marchais dans un débat télé en 1971, se fit une place au sein du mouvement gaulliste en entrant dans le gouvernement de Georges Pompidou en 1967, créant d'ailleurs l'Agence nationale pour l'emploi, ancêtre de Pôle emploi. Dans les années 1970, il devint ministre de l'Agriculture. L'occasion pour lui de renforcer des liens avec le monde rural, avec l'image d'un homme passant des heures dans le salon de l'Agriculture à serrer les mains, tâter les vaches, manger du fromage ou de la charcuterie, puis boire de la bière. Bref, vanter les produits agricoles français. Cela étant dit, ministre de l'Agriculture, il autorisa le chlordécone en Guadeloupe et en Martinique jusqu'à son interdiction en 1993 - 3 ans après l'interdiction en "métropole" -, étant ainsi responsable d'une pollution des terres, des cours d'eau, contaminant l'ultra-majorité de la population, prouvant ainsi le racisme institutionnel made in France.
La mort de Pompidou en 1974 marqua un tournant dans sa carrière politique. Par opportunisme, il apporta son soutien à Valéry Giscard d'Estaing contre Jacques Chaban-Delmas. En récompense, après sa courte victoire face à François Mitterrand, Giscard le nomma Premier ministre. Une expérience qui dura deux ans, où les deux hommes n'arrivaient plus à s'entendre et Chirac claqua la porte en 1976, profitant pour fonder le Rassemblement pour la République (RPR), un parti gaulliste lui qui serait dévoué corps et âme. Son élection à la mairie de Paris, en 1977, lui servit de marchepied pour espérer atteindre la fonction de président de la République. Échec en 1981, terminant troisième au premier tour. Cinq ans plus tard, Mitterrand le nomma Premier ministre, suite à la victoire du RPR lors des élections législatives, formant ainsi la première cohabitation entre l'Élysée et Matignon. Une cohabitation explosive tant les problèmes de chômage, les violences policières, voire (néo-)coloniales étaient importants avec un taux de chômage qui n'a commencé à baisser que début 1988, des violences policières avec la mort de Malik Oussekine en 1986, puis un renforcement de la Françafrique avec un fort soupçon d'implication de la France dans l'assassinat de Thomas Sankara en 1987 puis la répression envers les indépendantistes de la Kanaky - connue sous le nom de Nouvelle-Calédonie -, sans compter un soutien discret au régime d'apartheid en Afrique du Sud avec des livraisons d'armes via le Zaïre de Mobutu Sese Seko, dont Chirac avait des sentiments "de l'affection" et qu'il soutint jusqu'au bout de la dictature du "léopard de Kinshasa", en 1997.
Si en 1988, Chirac subit un nouvel échec dans la course à l'Élysée, face à Mitterrand, il retint la leçon en 1995, puisqu'il avait évité de retourner en cohabitation avec "Tonton", envoyant Édouard Balladur à la place, quitte à avoir une lutte fratricide au sein du RPR avec "[son] copain de 30 ans", donnant lieu à des sketchs mémorables dans Les Guignols de l'info. Après à peine deux ans de mandat présidentiel, où son Premier ministre Alain Juppé - "le meilleur d'entre nous" dixit Jacquouille la fripouille Chirac - se mangea d'immenses grèves à la SNCF à l'automne-hiver 1995 par exemple, le président prit la décision de dissoudre l'Assemblée nationale, alors qu'il disposait encore d'une majorité présidentielle pour une année. Résultat, le Parti socialiste revint aux affaires, avec Lionel Jospin comme Premier ministre d'un gouvernement de gauche plurielle. De quoi se moquer de lui en l'imaginant se dire "quel con". Mais à terme, ce nouveau gouvernement de cohabitation permit à Chirac d'éviter de se prendre les pots de bananes réservés au gouvernement et de pouvoir s'assurer un chemin vers sa réélection en 2002, même s'il a été un temps inquiété par l'enquête sur les emplois fictifs du RPR du temps où il était maire de Paris. L'élimination de Jospin au premier tour de la présidentielle de 2002 et le passage de Jean-Marie Le Pen au second tour permirent une large réélection du vieux lion, sans trop se forcer.
Assuré d'avoir une majorité suite aux législatives de juin 2002, il pouvait espérer un quinquennat tranquille. Mais avec un Premier ministre comme Jean-Pierre Raffarin vite impopulaire, un référendum sur le Traité constitutionnel européen rejeté par les électeurs, des révoltes en banlieue mettant à jour les violences policières et le racisme institutionnel made in France, puis l'ambition croissante de Nicolas Sarkozy, qui trahit Chirac pour Balladur lors de la présidentielle de 1995, il était devenu évident que Chirac était en décalage avec son époque et incapable d'y répondre, quittant la scène en 2007, sans avoir eu à s'expliquer sur les emplois fictifs ou d'autres affaires judiciaires le concernant, notamment après une aggravation de ses problèmes de santé.
Que retenir de Chirac? Il se peut que ce soit l'image du magouilleur sympa qui s'impose. Et c'est signe du fait de notre aliénation. Pourquoi? Ce serait oublier son gouvernement de cohabitation sous le mandat de Mitterrand, avec son alignement libéral - privatisations tous azimuts, dont la plus symbolique demeure celle de TF1 -, les violences policières envers les étudiants contre la réforme Devaquet et la mort de Malik Oussekine évoquée plus haut par les flics à moto - les "voltigeurs", ressuscités sous Emmanuel Macron -, etc. Ce serait oublier les petites phrases bien racistes de Chirac dans des meetings du RPR pour draguer l'électorat du Front national - "le bruit et l'odeur", on connaît -. Ce serait oublier la reprise des essais nucléaires dans l'océan Pacifique, à Mururoa, en 1995 et 1996, qui valut une indignation internationale. Ou encore l'impunité dont il bénéficia grâce à son immunité présidentielle sur les emplois fictifs, envoyant Juppé se faire condamner à sa place. Ce serait oublier l'intervention de l'armée française en Côte d'Ivoire - opération Licorne - qui a finalement tourné vers une opposition à la présidence de Laurent Gbagbo.
Mais ce qui rehausse Chirac, en outre son discours reconnaissant le rôle de l'État français dans la Shoah, c'est au niveau de la politique internationale. Bien qu'il ait été un pro-américain toute sa vie, comme en témoignent sa relation fort amicale avec Bill Clinton puis son soutien affiché auprès de George W. Bush peu après les attentats du 11 septembre 2001, Chirac est perçu comme un anti-américain en raison de son refus de suivre Bush dans sa guerre en Irak en 2003, demeurant ainsi la plus grande décision de sa vie politique. Parallèlement, Chirac suivait une politique gaullienne, avec un rapprochement auprès des pays arabes comme sa visite en Algérie en 2003 qui avait grandement marqué les esprits entre Paris et Alger, ou encore son voyage en Israël en 1996, s'énervant contre les services de sécurité et les militaires israéliens lors de son bain de foule dans Jérusalem-Est, le rendant ainsi sympathique auprès des pro-palestiniens.
Et vu ceux qui l'ont succédé à l'Élysée (Sarkozy, Hollande, Macron), la tendance malsaine à revaloriser Chirac se développe d'elle-même.
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