Même mort depuis 20 ans, l'ombre de François Mitterrand traîne dans la vie politique française, notamment au Parti socialiste et au palais de l’Élysée, où il a fait une continuité de la ligne politique de ses prédécesseurs au niveau extérieur, en particulier envers l'Afrique francophone.
Putain 20 ans! Le 8 janvier 1996, mourut François Mitterrand, recordman de la durée en tant que président (14 ans), premier président "socialiste" de la Ve République, qui attendra 2012 pour voir un autre socialiste, François Hollande, élu président de la République. Et durant ce temps-là, le Parti socialiste (PS), qu'il avait forgé pour le porter au pouvoir, resta quelque part traumatisé par son ancien leader charismatique et par les révélations sur sa jeunesse faites à la fin du second septennat.
De Vichy à l'Élysée
Né à Jarnac en 1916, François Mitterrand représente bien quelque part son siècle, le XXe du nom. Un siècle de guerres mondiales et de génocides, ainsi que celui où des idéologies (nazisme hitlérien; fascisme italien; communisme à la sauce stalinienne, etc.) ont pris de l'importance et du pouvoir. Mais un homme cultivé ayant pris goût avec le pouvoir et attiré par Paris. D'ailleurs, l'écrivain François Mauriac le surnomma "Rastignac", en référence au personnage d'Honoré de Balzac, figure du provincial réussissant à Paris. Le jeune Mitterrand était de droite, dans la lignée familiale d'ailleurs. Il figura d'ailleurs aux côtés des organisations de jeunesse des Croix-de-feu du colonel de La Roque vers 1936, au moment où le Front populaire devint majoritaire, sous la IIIe République. Durant la guerre de 39-45, il fut mobilisé. Blessé, il devint prisonnier de guerre en juin 1940 et envoyé au stalag en Allemagne. Au bout de la 3e tentative, il s'évada pour rejoindre la France quelques mois plus tard. De là, il devint un des fonctionnaires les plus en vue du régime de Vichy, recevant la francisque des mains du maréchal Pétain fin 1942. Bref, un parfait collabo ayant développé une amitié avec René Bousquet, l'organisateur de la rafle du Vel d'Hiv le 17 juillet 1942. Mais d'un autre côté, il avait pris place dans un réseau de résistants, utilisant le pseudonyme de Morland. Comme le dit Pierre Joxe dans le documentaire François Mitterrand ou le Roman du Pouvoir de Patrick Rotman, suite à une déclaration de son père, Louis Joxe: "Quand Mitterrand était pétainiste, il était vraiment pétainiste. Mais quand il était résistant, il était vraiment résistant."
Avec la Libération, Mitterrand glissa lentement mais sûrement à gauche, entrant dans des gouvernements sous la IVe République sous différents portefeuilles ministériels (Anciens combattants, Intérieur, Justice). Suite au putsch du 13 mai 1958 et le retour de Charles De Gaulle au pouvoir, il se posa en opposant implacable de la Ve République gaullienne, parlant de "Coup d'état permanent". Membre d'un petit parti de centre-gauche, il se porta candidat en 1965, poussant De Gaulle en ballotage - une surprise à l'époque tant "l'homme du 18 juin" semblait parti pour gagner au premier tour sans se forcer -, il voulut tenter de nouveau l'Élysée sur la fin de Mai 68 mais les élections qui suivirent l'isolèrent au sein de la gauche. Mais en 1971, il réussit un coup de maître en devenant premier secrétaire du Parti socialiste lors du congrès d'Épinay, transformant l'ex-SFIO. En fin stratège, Mitterrand joua le socialiste authentique au discours marxisant (rupture avec le capitalisme). Ses proches savaient bien combien il faisait de l'omission volontaire pour attirer des militants socialistes sous son nom, et des alliés politiques au sein du PS - le CERES, l'aile gauche du parti, avec Jean-Pierre Chevènement; ou les cadres Pierre Mauroy et Gaston Defferre, à la tête des puissantes fédérations du Nord et des Bouches-du-Rhône -, puis dans le reste de la gauche, à une époque où le Parti communiste (PC), avec Georges Marchais, était le parti dominant. D'où "l'Union de la gauche" ou l'accord de "Programme commun" entre le PS, le PC et les radicaux de gauche, en 1972. Un accord inclus dans la stratégie de Mitterrand de voler l'électorat du PC tout en rassurant certains patrons et diplomates ayant dans l'esprit, l'idée des "chars soviétiques sur les Champs-Élysées". Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette stratégie a parfaitement marché, même s'il a fallu attendre 1981 et une revanche sur Valéry Giscard d'Estaing, après une courte défaite face à ce dernier en 1974. Réélu en 1988, Mitterrand devint le président ayant eu le plus long mandat sous la Ve République. 14 années marquées par des réformes intérieures (39h, abolition de la peine de mort, introduction de l'ISF, du RMI, etc.) et des évolutions internationales (chute du bloc soviétique, construction de l'Union européenne avec le traité de Maastricht, fin de l'apartheid en Afrique du Sud). Mais le tournant de la rigueur à partir de 1983 montra le glissement à droite du PS, forgeant bien des désillusions par l'abstention ou de l'exaspération par le vote du Front national, qui se fait de manière continue aujourd'hui, sous la présidence de Hollande (cf vidéo ci-dessous).
Le culte du secret
Ce qui peut frapper quand on lit certaines choses sur Mitterrand, c'est de savoir combien il aimait cultiver le goût du secret auprès du public et de nombre de ses proches. Un premier exemple est celui de sa vie privée, avec la relation entretenue avec Anne Pingeot, qui donna naissance à Mazarine Pingeot en 1974. Même si cela s'est su par des collaborateurs (Roland Dumas, Jean-Louis Bianco, etc.), le grand public ne le découvrira qu'en 1994, avec des photos parues dans le journal Paris Match, à la fin du second septennat de "Tonton". D'aucuns diront que c'est du domaine de la vie privée et que "cela ne nous regarde pas". Peut-être...
Mais s'il y a un domaine normalement réservé à la vie privée qui doit être connu du grand public, c'est la santé du président. Or, de ce côté-là, Mitterrand a développé un secret scandaleux. En 1992, les Français apprirent qu'il fut hospitalisé pour un cancer de la prostate. Mais en vérité, ce cancer était déjà diagnostiqué peu après sa première élection, en 1981! Dans un documentaire passé récemment sur France 2, on voit comment le docteur Claude Gubler, médecin de Mitterrand, fut chargé de falsifier les bulletins de santé semestriels du président, pour raison d'État, tout en donnant divers soins afin d'atténuer ce cancer, avec une certaine efficacité puisque ce cancer de la prostate s'était peu manifesté de 1982 à 1992. Après cette date, Mitterrand préféra d'autres médecins et montra une ingratitude déroutante envers Gubler, qui s'était démené seul pour le maintenir en vie durant les premières années de sa présidence. Double peine, peu après la mort du "Vieux", le docteur révéla dans un livre ce secret d'État et fut brocardé par l'ensemble de la classe politique ainsi que de l'ordre des médecins, qui le radia pour avoir violé le secret médical.
Une continuité (néo)coloniale
Cette partie du billet risque d'en irriter plus d'un admirateur de Mitterrand, et ça se comprend. On peut regarder du côté du Mitterrand ministre dans les années 1950. Il était ministre de l'Intérieur au moment où la guerre d'Algérie débuta (1er novembre 1954) et à cette époque-là, l'Algérie dépendait directement de son ministère. Donc, dès le début, il devait organiser une riposte face au Front de libération nationale (FLN), donnant ainsi des gages aux pieds-noirs (colons français installés en Algérie). Par la suite, en 1956, sous le gouvernement du socialiste Guy Mollet, il devint Garde des Sceaux, et durant cette période, 45 indépendantistes algériens furent condamnés à mort et peu de recours en grâce furent acceptés par le ministre. De même qu'il fut chargé de donner des pouvoirs spéciaux à l'armée pour réprimer comme bon lui semble le FLN et ses tactiques de guérilla urbaine, difficiles à combattre pour une armée conventionnelle, même en renforçant le contingent (près d'un million d'hommes mobilisés en 1962).
Le Mitterrand président de la République (1981-1995) poursuivit la politique de ses prédécesseurs en Afrique, à travers la "Françafrique". Initiée par Jacques Foccard, le "monsieur Afrique" de De Gaulle, cette politique consistait, en résumé, à garder une assise sur les structures économiques des anciennes colonies, devenues indépendantes, et à venir au secours de dirigeants locaux connus pour leur docilité envers la France (et l'Occident en général) et leur comportement de dictateur. Mitterrand s'y appuie dessus, accélérant le revirement du PS sur ce sujet. Le rôle de Mitterrand dans la mort du leader burkinabé Thomas Sankara est obscur, en raison du contexte de cohabitation avec Jacques Chirac. Pourtant, il est loin d'en être triste vu comment Sankara avait eu des propos très tranchants envers une France impérialiste, irritant du coup "Tonton". Quelques années plus tard, en 1994, sous une autre cohabitation (avec Édouard Balladur), le génocide tutsi au Rwanda incrimine le rôle de la France dans cette tragédie, vu qu'elle était intervenue sous le nom de code "d'opération turquoise". Et là encore, la place de Mitterrand reste débattue pour une raison importante. La Constitution de 1958 donne au président de la République une priorité sur la politique extérieure, qui est son "pré carré". D'où des accusations multiples de responsabilité dans le génocide tutsi par diverses commissions d'enquête ou associations. Entretemps, il y eut eu l'affaire Elf. La compagnie pétrolière avait d'importantes implantations en Afrique et un vaste réseau de corruption, de détournements de fonds se développa, concernant des proches de Mitterrand - son fils Jean-Christophe ainsi que son ancien ministre Roland Dumas -.
Comme vous pouvez le constater, chers lecteurs, il est difficile d'avoir une clarté sur le parcours de François Mitterrand et avec le temps, des aspects détestables sont remontés à la surface, donnant une image écornée du "Tonton" débonnaire et charismatique. Et à mon avis, on est loin de tout savoir. Il faudra encore du temps pour faire de nouvelles découvertes sur ce personnage qui a laissé une trace dans l'histoire de France.
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François Mitterrand - Wikipédia
À partir de novembre " 1934, François Mitterrand milite pendant environ un an aux Volontaires nationaux, mouvement de jeunesse de la droite nationaliste des Croix-de-feu du colonel de La Rocque. Il