Face aux politiques d'austérité menées par les conservateurs ou les sociaux-libéraux (ou sociaux-démocrates), quelles réponses apportent la gauche, dans son ensemble? C'est l'enjeu d'une série de vifs débats au sein de la gauche radicale, samedi 16 janvier, à Paris.
Pour commencer une année qui prépare l'élection présidentielle de 2017, la fondation Copernic a organisé un colloque sur l'austérité, à Paris, et comment la combattre de manière effective, suite à l'expérience de Syriza en Grèce, qui a fini sur une humiliation pleine et entière de la part d'Alexis Tsípras et ses camarades. De nombreux invités répondirent à l'appel, tels les économistes Thomas Coutrot, Frédéric Lordon; ou encore les élus Clémentine Autain (Ensemble!, une des composantes du Front de gauche), Pierre Laurent (leader du Parti communiste, principale force du FG) ou Marie-Noëlle Lienemann (membre de l'aile gauche du Parti socialiste).
Une démarche unitaire à trouver
La crise économique de l'Union européenne (UE), muée en crise politique avec la Grèce, a du mal à trouver une issue autre que par les politiques d'austérité imposées (ou fortement incitées pour certains) à l'échelle continentale. Mais cette crise a eu également pour effet de réveiller dans les pays les plus durement frappés (Grèce, Espagne, Portugal, etc.), des mouvements sociaux et syndicaux alors en recul et que cette recrudescence s'est vite traduite dans le champ politique, notamment en Grèce où le parti Syriza est monté en puissance grâce aux grèves générales qui ont précédé son arrivée au pouvoir. Mais la capitulation de Tsípras, en raison de l'isolement de ce dernier sur la scène européenne selon certains de ses alliés, a vite tourné au désastre, donnant un coup d'arrêt à la gauche radicale en Europe. Même si Laurent rappelle volontiers dans son intervention que durant l'année 2015, cette composante politique a grimpé en Espagne avec Podemos; en Grèce avec Syriza; au Royaume-Uni avec Jeremy Corbyn comme leader du Parti travailliste ou la gauche radicale portugaise soutenant au niveau parlementaire un gouvernement composé de socialistes. Ces multiples victoires ressemblent à celles de Napoléon Bonaparte en Égypte (les Pyramides, Jaffa, Mont-Thabor, etc.) qui sont balayées par le désastre de la bataille navale d'Aboukir.
Néanmoins, la volonté de démarche unitaire est intacte parmi les orateurs. Une articulation entre les mouvements sociaux, les partis politiques et la sphère culturelle est souhaitée. Maintenant, il faut se demander sous quels rapports, car la méfiance des uns des autres reste perceptible. Le syndicaliste belge Felipe Van Keirsblick l'a bien illustré. Il met volontiers la primauté des mouvements sociaux, se méfiant de la récupération politique ou d'initiatives telles le "Plan B", lancée par l'eurodéputé Jean-Luc Mélenchon entre autres. Ce à quoi Autain répond qu'il ne faut pas faire de primat de l'un sur l'(es)autre(s), optant sur un "travail en tension", une "convergence sans instrumentalisation". En outre, d'autres mobilisations peuvent s'imbriquent dans cette lutte générale contre l'austérité. Les mobilisations écologistes et anti-racistes ont pris place ces derniers mois, et il est effarant de voir que les quartiers prolétaires immigrés sont peu pris en considération par la gauche radicale, accentuant le manque d'envie de ces derniers pour voter car ils sont l'un des profils les plus importants (sinon le plus important) d'abstentionnistes. Et entre partis politiques, faut-il compter sur l'aide de membres du PS comme Lienemann ou pas? La bonne foi de ces derniers, inscrits dans "la tradition socialiste", semble faire peu d'écho favorable.
Couple euro-austérité stable
Depuis l'été 2015, l'idée de sortir de l'euro afin de lutter contre l'austérité germe peu à peu dans la gauche radicale. Bien qu'elle ait été portée avant par des économistes tels Frédéric Lordon ou Jacques Sapir, cette idée a pris une autre dimension avec la tragédie grecque en cours. Les objecteurs, notamment au sein du PC, soulignent le fait que sortir de l'euro n'est pas une condition suffisante pour en finir avec l'austérité. L'exemple du Royaume-Uni est largement utilisé. En outre, la thèse de la réforme "de l'intérieur" de l'UE (euro démocratique, parlement de la zone euro) tient encore une place prépondérante à gauche. Ce qui est pour un Lordon une illusion car il faudrait, selon lui, que l'Allemagne accepte une remise en cause des statuts de la Banque centrale européenne, des déficits publics, etc. afin que ça soit repris par la souveraineté populaire, remettant à jour un internationalisme "mal pensé". En réponse, l'économiste Pierre Khalfa estime que c'est donner trop d'importance à l'Allemagne et qu'il vaut mieux attendre l'exclusion de la zone euro par le reste des pays utilisateurs de cette devise, plutôt que de vouloir sortir par soi-même.
D'ailleurs, qui doit sortir de l'euro? Deux tendances s'affrontent. Dans le cas de la France, soit elle sort toute seule de l'euro, soit elle forme une coalition faisant pousser l'Allemagne vers la sortie. Une idée à laquelle semblent rejoindre Lordon et Lienemann. La sénatrice socialiste précise sa pensée de la manière suivante: "Si la zone euro explose, que ce soit par la faute de l'Allemagne". Problème, l'euro est un choc asymétrique strictement positif outre-Rhin. Donc aucun intérêt pour Berlin de partir!
En tout cas, parmi les orateurs présents samedi 16 janvier, Lordon semble faire la plus large adhésion dans le public venu. Il faut dire que son éloquence oratoire lui permet de sortir des traits d'esprits qui sont des sulfateuses pour ses contradicteurs. D'ailleurs, Laurent et un jeune militant communiste en ont fait les frais, tellement aux yeux de l'économiste et philosophe, "le néo-libéralisme a gagné dans les têtes", y compris au sein du PC!