La démission du général Pierre de Villiers au poste de chef d'État-major des armées, mercredi 19 juillet, clôt toute une semaine de tensions exacerbées entre le président Emmanuel Macron et l'armée, sur fond de coupes budgétaires. En dépit du remplacement de de Villiers par le général François Lecointre, un sentiment de crise de confiance semble s'être installé dans l'armée.
Une atmosphère de crise règne en France, et tout particulièrement entre le président de la République, Emmanuel Macron, et l'armée française. La démission du général Pierre de Villiers de son poste de chef d'État-major des armées, mercredi 19 juillet, et son remplacement par le général François Lecointre, ancien combattant au Rwanda ou en Bosnie-Herzégovine au milieu des années 1990, font suite à une polémique médiatique lancée le 12 juillet. Le général démissionnaire était alors auditionné, à huis clos, par la commission de la Défense de l'Assemblée nationale, et des propos du militaire ont fuité, avec comme phrase choc: "Je ne vais pas me faire baiser comme ça" et que le lendemain, le président de la République, chef des armées selon la Constitution de 1958, a répliqué de manière autoritariste, disent certains opposants: "Je suis votre chef". En tout cas, cette démission a été saluée par l'ensemble des groupes parlementaires d'opposition, applaudissant le courage du général et conspuant l'attitude du pouvoir exécutif (cf lien n°1).
Austérité généralisée
Mais qu'est-ce qui a déclenché cette montée des tensions entre Macron et son État-major? C'est le programme de mesures d'économie, en fait un plan d'austérité, d'environ 4,5 milliards d'euros pour 2017, suite au rapport de la Cour des comptes du 29 juin dernier, appelant à trancher dans le vif pour être dans les clous budgétaires autorisés par les traités européens. Un appel entendu 5/5 par le gouvernement d'Édouard Philippe et le ministre de l'Action et des Comptes publics (ministre des Finances) Gérald Darmanin, qui mènent cette politique d'austérité. D'ailleurs, dans une interview au journal Le Parisien, datée du 10 juillet, le ministre Darmanin indique que sur ces 4,5 milliards d'euros sur l'ensemble du secteur public, 850 millions concernent directement le budget du ministère des Armées - nouveau nom du ministère de la Défense - (cf lien n°2). D'où la colère du général de Villiers, qui avait déjà menacé de démissionner durant le mandat de François Hollande pour des raisons de coupe budgétaire - déjà! -. Mais il faut croire qu'à l'époque, l'ancien président et son ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, avaient su l'écouter et le convaincre de rester à son poste. Là, l'actuelle ministre, Florence Parly, demeure impuissante dans cette situation.
Cet événement a le mérite de montrer combien les gouvernants croient à une pseudo-vertu des politiques d'austérité, suivant en cela des économistes orthodoxes à la pensée très ancienne, qui sont leurs maîtres à penser, alors que les économistes hétérodoxes ne cessent pas d'alerter sur l'erreur d'interprétation de l'efficacité des politiques d'austérité, notamment sur l'effet induit envers la dette publique.
Revoir la politique extérieure
Cette crise, la première du mandat de Macron, est déjà d'une extrême gravité car quand un pouvoir civil se fâche avec l'armée, cette dernière montre les crocs et peut faire très mal. Plusieurs exemples historiques peuvent être cités mais prenons-en deux qui n'ont pas eu la même finalité pour l'armée. D'abord, la crise de mai 1958, où les militaires marquèrent leur opposition face à un gouvernement qui, deux ans auparavant, avait accordé des pouvoirs spéciaux à l'armée dans le contexte de la guerre d'Algérie. Insatisfaits, plusieurs généraux ont fait un coup de force à Alger le 13 mai 1958, menaçant le pouvoir civil et provoquant la fin de la IVe République, car le président du Conseil Pierre Pflimlin appela le général Charles de Gaulle au pouvoir, permettant à ce dernier de préparer la Ve République, qui nous régit. Trois ans plus tard, plusieurs généraux tentèrent un putsch contre de Gaulle, devenu président de la République, qui a été avorté car l'armée française tenait au légalisme des institutions de la Ve République, qui consacre un pouvoir exécutif fort.
Mais il se pourrait bien que ce pouvoir exécutif soit trop fort à supporter pour une armée qui ne peut pas tolérer de nouvelles coupes budgétaires alors qu'elle est déployée sur de multiples fronts ces dernières années (Irak, Mali, Centrafrique, etc.), l'exposant au risque terroriste. Ce qui est la conséquence directe de la politique extérieure de la France, symbolisée par deux mots: atlantisme et françafrique. Dans le premier cas, c'est un signe de soumission, accentué par Nicolas Sarkozy, Hollande et Macron, y compris quand le cadre symbolique du 14 juillet avec Macron invitant Donald Trump, bien que ce dernier ait envoyé promener l'accord de Paris sur le climat. Dans le second cas, c'est la continuité d'une politique d'influence de l'Hexagone sur ses anciennes colonies africaines dont la moindre critique au niveau parlementaire pourrait relever de l'exploit. Bref, il serait cohérent de revoir la politique extérieure française si le pouvoir souhaite réduire les frais au niveau de la Défense. Mais c'est croire au père Noël avec ce nouveau pouvoir exécutif.
Puis cette cure d'austérité a pour conséquence un manque de renouvellement du matériel militaire et si, par malheur, des nouvelles de soldats français morts seraient annoncées dans les prochaines semaines, l'interprétation qui en serait faite sera tournée contre la politique du pouvoir exécutif, qui serait accusé de fait d'envoyer à une mort certaine des soldats français. En outre, contradiction ultime, Macron promet que le budget de l'armée passera à 2% du Produit intérieur brut d'ici 2025. Les militaires peuvent difficilement y croire vu le contexte actuel.
Le chemin de la confiance de l'armée va être long pour le nouveau président.
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