Les résultats des élections présidentielles et législatives anticipées annoncent une victoire du président sortant et de sa majorité, semblant ainsi confirmer la présidentialisation de la république turque, sans pour autant calmer une opposition qui avance des fraudes aux urnes.
Recep Tayyip Erdogan aura encore cinq ans de présence au sommet de l'État. Selon les résultats annoncés par l'agence de presse Anadolu, Erdogan, premier ministre de 2002 à 2014 et président depuis quatre ans, a été réélu par les électeurs, dimanche 24 juin, dès le premier tour de l'élection présidentielle, avec 52,58% des suffrages exprimés, contre 30,32% pour son principal adversaire, Muharrem Ince. Par ailleurs, les élections législatives se sont déroulées le même jour, donnant la victoire du Parti pour la justice et le développement (Adalet ve Kalkınma Partisi - AKP, droite), avec 42,54% des voix et 295 députés sur 600. Cette victoire législative n'est pas totale car l'AKP aura besoin du Parti d'action nationaliste (Milliyetçi Hareket Partisi - MHP, extrême droite) et de ses 11,11% de voix (48 députés) pour former une majorité solide. Le tout, avec une abstention très faible dans ces deux scrutins - moins de 15% - (cf lien n°1).
Ces élections sont également les premières depuis la réforme constitutionnelle voulue par Erdogan et adoptée par référendum en 2017. En fait, les résultats annoncés entérinent le passage d'un régime parlementaire à un régime présidentiel dans la république turque version Erdogan. En effet, avec la réforme constitutionnelle, le président de la république concentre davantage de pouvoir, et ce d'autant plus que la fonction de Premier ministre a été tout bonnement supprimée, le président étant à la fois chef d'État et chef de gouvernement. Ce qui est, quelque part, une francisation, vu que la Constitution de la Ve République en France se base sur un régime présidentiel puissant.
Atmosphère tendue
Il n'en reste pas moins que l'atmosphère est tendue en Turquie. L'opposition, notamment le Parti républicain du peuple (Cumhuriyet Halk Partisi - CHP, centre-gauche) et son candidat, Ince, conteste les résultats annoncés et dénonce de multiples cas de fraude, de bourrage d'urnes sur l'ensemble du pays (cf liens n°2 et n°3). Il n'en reste pas moins que le CHP compterait 147 députés, et qu'avec ses alliés au sein de l'alliance populaire, 190 députés formeront le principal groupe d'opposition à Erdogan. Mais il faut également compter sur l'opposition pro-kurde, regroupée au sein du Parti démocratique des peuples (Halkların Demokratik Partisi - HDP, gauche radicale). Ce parti, qui avait fait sensation lors des élections en 2015, lourdement réprimé ces dernières années, avec son candidat à l'élection présidentielle, Selahattin Demirtas, emprisonné, craignait de ne pas atteindre le plancher de 10%, permettant à un parti ou une alliance de partis d'avoir des élus à l'Assemblée nationale. Finalement, il obtient 11,69% des voix et 67 députés.
Preuve de la tension extrême en Turquie sur ces scrutins électoraux, des délégations d'observateurs internationaux ont été arrêtées, mises en garde à vue le jour des élections. Ainsi, une délégation de trois membres du Parti communiste français (PCF), dont Christine Prunaud, sénatrice des Côtes-d'Armor et membre de la commission des Affaires étrangères du Sénat, a été arrêtée et mise en garde à vue par les autorités turques. Une attitude qui servirait de preuve de fébrilité de la part du pouvoir turc selon le PCF, visant à "étouffer toutes les voix qui dénoncent les fraudes massives à l'œuvre" (cf lien n°4). Enfin, il est bon de rappeler que ces élections se déroulent en plein état d'urgence en Turquie. Depuis le coup d'État avorté du 15 juillet 2016, l'État d'urgence a été décrété, permettant au pouvoir de mener une véritable purge au sein de l'administration et une répression de grande ampleur. En-dehors de l'exemple de Demirtas et du HDP, des dizaines de milliers de juges, d'enseignants, de militaires et autres fonctionnaires ont été enlevés du personnel administratif, soupçonnés d'être des opposants à Erdogan, voire d'avoir participé au coup d'État raté de juillet 2016. Sans compter les multiples atteintes à la liberté d'expression avec des arrestations de journalistes turcs et étrangers, comme le Français Mathias Depardon durant l'année 2017 par exemple.
De quoi se dire que la Turquie tend vers une dictature, ou une "démocrature", avec une dimension religieuse réaffirmée dans une république qui s'est basée sur la laïcité depuis sa fondation, en 1923, par Mustafa Kemal Atatürk.
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