Le 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin donne l'occasion de réfléchir sur la réunification de l'Allemagne, ou plutôt de sa légende dorée qui demeure bien fragile outre-Rhin. Ce que démontre la montée en puissance de l'extrême-droite dans l'ex-RDA, où le sentiment d'être laissé pour compte et contrôlé par des dignitaires, des fonctionnaires originaires de l'ex-RFA.
Il y a 30 ans, le 9 novembre 1989, eut lieu la chute du mur de Berlin. Cet événement marqua la fin du 20e siècle avec le démantèlement rapide de la République démocratique allemande (RDA) jusqu'à la fusion avec la République fédérale allemande (RFA) pour former une Allemagne réunifiée le 3 octobre 1990, puis la destruction du bloc soviétique, avec au bout la chute de l'Union des républiques socialistes soviétiques fin 1991, actant la victoire du capitalisme privé sur ce qui est présenté comme du socialisme, voire du communisme, mais que certain(e)s communistes - trotskystes - décrivaient comme du capitalisme d'État, agissant avec une logique totalitaire. Celles et ceux qui ont vu le film La Vie des autres de Florian Henckel von Donnersmarck, montrant comment pouvaient agir les agents de la Stasi - la police politique est-allemande -, en savent quelque chose.
Une annexion très chère
Depuis cette époque, il est coutumier de dire qu'il s'agit d'une réunification pacifiée et désirée par les ex-Allemands de l'Est, voulant jouir de l'économie capitaliste de consommation de masse développée chez les ex-Allemands de l'Ouest. Mais n'est-ce pas là une légende dorée qui masque une histoire bien plus cruelle pour l'ex-RDA par rapport à l'ex-RFA? C'est ce que souligne le mensuel Le Monde Diplomatique dans son numéro du mois de novembre 2019, développant une série d'articles parlant de l'annexion de la RDA par la RFA, et non d'une réunification mythifiée.
Qu'est-ce qui permet de justifier ce point de vue? D'abord, une destruction de l'ensemble de l'appareil économique dans l'Allemagne de l'Est, faisant développer un chômage de masse dans les années 1990 et si l'Allemagne actuelle connaît un taux de chômage très faible, il n'en demeure pas moins que le taux de chômage dans les Länder de l'ex-RDA reste supérieur au taux de chômage dans l'ensemble de l'Allemagne (cf graphique), où la liquidation des entreprises est-allemandes offrit un terrain de jeu rêvé pour les firmes ouest-allemandes. Ensuite, une union monétaire au forceps, où 1 deutschemark de l'Ouest était fixé à 1 Ostmark. Ce qui n'est pas étranger à la crise du Système monétaire européen dans les années 1990 tant les partenaires de l'Allemagne, dont la France, ont dû régler l'addition de cette annexion. Enfin, d'une part, des politiciens de la RFA comme Wolfgang Schäuble, alors ministre de l'Intérieur du gouvernement d'Helmut Kohl, déclarent clairement qu'il s'agit "d'une entrée de la RDA dans la République fédérale, et pas le contraire. (...) Ce qui se déroule ici n'est pas l'unification de deux États égaux"; puis d'autre part, les Allemands de l'Est aspiraient à développer une RDA véritablement socialiste, écologiste et que ça ne voulait pas épouser le modèle capitaliste de la RFA.
Par conséquent, cette pseudo-réunification allemande a été très chèrement payée par les Allemands de l'Est car davantage exposés au chômage, à la pauvreté, car la base industrielle et les services publics ont été disséqués, et que leur intégration dans la nouvelle Allemagne, notamment dans la fonction publique et dans la classe politique, est on ne peut plus marginale. Et si ajoute un ressentiment manifeste envers des exilé(e)s extra-européens, il n'est alors pas si étonnant que le parti d'extrême-droite Alternative für Deutschland connaisse une montée en puissance ces dernières années dans les Länder de l'Est, dépassant parfois Die Linke, le parti de gauche radicale partiellement fondé par des anciens du Parti unique de la RDA, le Parti socialiste unifié d'Allemagne. Mais aussi par les pays de la Communauté économique européenne, devenue Union européenne, car la nouvelle Allemagne se trouvait en position de force, imposant ses vues à ses partenaires, et tout particulièrement la France, à travers l'euro, aligné sur le modèle du deutschemark. Ce qui peut permettre d'expliquer pourquoi l'euro est un choc asymétrique positif outre-Rhin, du moins à l'Ouest.
En regardant un tant soit peu les choses, il y a de quoi se dire que l'ex-RDA n'a été tellement intégrée dans l'Allemagne réunifiée et que les disparités observées peuvent faire office de ségrégation. Quelque part, le football allemand peut servir d'illustration. La "réunification" n'a pas donné un rééquilibrage entre les clubs de l'Ouest et ceux de l'Est. Les premiers trustant les titres de champion d'Allemagne, les seconds devant généralement lutter pour espérer se maintenir en Bundesliga ou arracher une coupe nationale. D'ailleurs, pour la saison 2019-2020, sur les 18 clubs de l'élite du foot allemand, seulement trois sont situés dans l'ex-RDA, à savoir le Herta Berlin, le 1. FC Union Berlin et le RB Leipzig, ce dernier étant fondé en 2009 par l'affairiste autrichien Dietrich Mateschitz et sa firme Red Bull, contournant les réglementations de la Fédération allemande de football et n'ayant forcément une grande popularité auprès des amoureux du ballon rond outre-Rhin, bien qu'il soit en lutte pour les premières places.
Et au niveau de la sélection allemande, à part Matthias Sammer, Michael Ballack, Toni Kroos ou Antonio Rüdiger, il existe peu d'Ossies ayant un parcours au sein de la Mannschaft sur les 30 dernières années. C'est dire si le chemin est ardu pour l'Allemagne et que la question de quotas, de discrimination positive pour les Est-allemands peut se poser.