En votant une réforme du déroulement de la campagne présidentielle, notamment sur la question du temps de parole, l'Assemblée nationale montre à quel point la Ve République est aux abois, tenant à tout prix à renforcer les grands partis politiques actuels.
Tout s'est fait dans la nuit - "où les chats sont gris" -. Digne d'un scénario de complot, pourraient extrapoler certains. Mais dans la nuit du 24 mars (vendredi Saint), l'Assemblée nationale a voté et adopté un texte modifiant de manière conséquente les modalités de l'élection présidentielle. Sur les 577 députés que compte la chambre basse du Parlement, seuls 20 d'entre eux étaient présents au moment du vote (cf liens n°1 et 2). Pire que lors des votes concernant la réforme de la Constitution, notamment au sujet de l'inscription de la déchéance de nationalité et de l'état d'urgence dans ce texte fondamental.
David contre Goliath
Qu'y a-t-il dans le nouveau texte, faisant pousser des cris pour certains citoyens qui ont appris la nouvelle? Premièrement, c'est la publication intégrale des parrainages pour tel ou tel candidat. Jusqu'à présent, un candidat, qui doit toujours avoir besoin de 500 parrainages d'élus (maires, conseillers municipaux, départementaux, régionaux, députés, sénateurs) pour être officiellement candidat à l'élection présidentielle, n'avait pas obligation à afficher qui lui a donné son parrainage. Mais avec le texte adopté, le Conseil Constitutionnel "rend publics le nom et la qualité des citoyens qui ont valablement proposé les candidats". À savoir, tout élu souhaitant parrainer un candidat verra désormais son nom affiché. Ce qui n'est pas sans conséquence pour l'élu en question, comme l'estime le blogueur Laurent Herblay dans une tribune au journal Le Figaro (cf lien n°3). De même que le temps de parole des candidats serait rendu totalement proportionnel aux derniers résultats électoraux. Plus de stricte égalité de temps de parole dans les cinq dernières semaines de campagne, comme ce fut le cas en 2012.
Quel est le but de la manœuvre? C'est de réduire l'importance des "petits" candidats pour les deux partis dominants français que sont le Parti socialiste (PS) et les Républicains (LR). D'ailleurs, le scrutin montre que le texte n'a été adopté que grâce aux députés PS présents dans l'hémicycle cette nuit-là (11 députés!), les deux députés LR présents s'étant abstenus de voter. Ce n'est pas sans se dire que c'est un indice d'américanisation de la vie politique française, sauf que le PS et LR se retrouvent à former une triade avec le Front national (FN), qui faisait partie des "petits" avant de monter en puissance sur les trente dernières années. Du coup, des candidats comme Nicolas Dupont-Aignan, Nathalie Arthaud ou Philippe Poutou, qui ont récemment annoncé leur candidature pour 2017, ont l'impression qu'on veuille leur couper l'herbe sous le pied, devant mener un combat de "David contre Goliath".
Une Ve République antidémocratique
Même si certains journalistes rappellent que ces "petits" candidats font des petits scores, malgré l'application de la stricte égalité de temps de parole, ce principe permettait au moins de les mettre sur un même pied pour que les citoyens aient la curiosité de s'y intéresser, à défaut de pouvoir être convaincus. Mais en réalité, cette pathétique histoire illustre bien le potentiel antidémocratique de la Ve République, où le pouvoir exécutif est tellement puissant qu'il fait miroiter les esprits. Ce n'est pas hasard si l'élection présidentielle est celle où il y a le moins d'abstention car elle véhicule l'idée du "sauveur suprême", du "César tricolore" auprès des électeurs et des politiciens, poussant à la personnalisation, y compris à gauche, comme pour le cas de Jean-Luc Mélenchon aux yeux de certains. En outre, ce scrutin fournit l'illusion que c'est l'universel qui s'exprime pleinement, mais à y regarder de plus près, le vote tend depuis quelques décennies à être un "cens caché", dans la mesure où le président de la République et le gouvernement prêtent davantage l'oreille aux électeurs les plus riches, correspondant à des intérêts de classe difficilement avouables.
C'est en cela que les autres élections voient une abstention plus massive et vu comment le texte tombe dans un contexte défavorable pour le gouvernement - opposition au projet de "loi travail"; opposition à l'état d'urgence -, c'est un mauvais signal envoyé aux électeurs, qui préfèreront bouder les urnes l'an prochain, plutôt que d'imaginer des pistes pour une VIe République, comme certains l'envisagent ces derniers temps. Bref, la démocratie représentative nage en eaux troubles!
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Presentation de l'Assemblee nationale, du palais Bourbon, de ses membres (deputes), de son fonctionnement et de son actualite : agenda, travaux en cours (amendements, rapports, commissions, lois) ...
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Analyse du scrutin n° 1262 - Deuxième séance du 24/03/2016 - Assemblée nationale
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