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JoSeseSeko

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"Il ne faut jamais prendre les gens pour des cons, mais il ne faut pas oublier qu'ils le sont." Cette phrase résume une recherche de vérité, de développer de l'information sur une variété de sujets, notamment l'économie, la politique et l'histoire. Et ce, dans plusieurs pays du monde.


Lordon, un intellectuel qui compte

Publié par JoSeseSeko sur 4 Octobre 2015, 12:37pm

Catégories : #Économie, #Philosophie, #Politique, #Lutte des classes, #Écologie, #Lordon, #Euro, #Spinoza, #Marx, #Socialisme

Photo: Baltel / SIPA

Photo: Baltel / SIPA

Avec son nouveau livre Imperium, Frédéric Lordon démontre qu'une analyse alternative n'est pas morte et qu'elle résiste à la tentation de rentrer dans le rang. Néanmoins, et il en est conscient, elle n'est pas exhaustive car certains sujets (écologie, racisme) ne sont pas totalement évoqués.

Grâce à des contacts sur les réseaux sociaux, j'ai pu avoir le plaisir d'assister à une conférence, si on peut dire, de Frédéric Lordon, à la librairie de Paris, mardi 29 septembre. Vous allez me dire que j'ai pris beaucoup de temps pour écrire ce billet à ce sujet mais j'ai été pas mal pris ces derniers temps. Donc, des excuses d'avance. Frédéric Lordon, pour ceux qui ne le connaissent pas, c'est un économiste de formation, qui a du bifurquer vers la philosophie en raison face à la "colonisation institutionnelle" de l'orthodoxie économique (néolibéralisme) dans l'enseignement supérieur. On peut dire que c'est un intellectuel de gauche.

Puissance de la multitude

Cette conférence à laquelle j'ai assisté était axée sur son dernier livre, Imperium, paru aux éditions La Fabrique. L'un des axes de ce livre, et il y revient à plusieurs reprises, c'est de définir le corps. Non pas le corps humain, mais le corps politique, le corps social. Ce qui est bien plus large. D'ailleurs, en lien avec le philosophe néerlandais Baruch Spinoza, une de ses références intellectuelles avec le philosophe et économiste allemand Karl Marx, Lordon décrit l'imperium comme "la puissance de la multitude". Donc, une différence totale avec le concept d'empire!

Cette puissance de la multitude, c'est celle du grand nombre, du corps social le plus bas de la société, du peuple, dont Lordon, comme Spinoza, Maximilien Robespierre ou Marx, estime qu'il a une grande force qui semble lui échapper. Même, quand cette puissance est mise en relation avec le pouvoir, elle aliène le corps social qui emprunte le pouvoir, comme c'est le cas, selon Lordon, avec des institutions comme la Banque centrale, la Présidence de la République ou le Parlement par exemple. Cependant, cela relève de l'influence qu'on peut avoir sur autrui en fonction de son positionnement social dans la société capitaliste. Par exemple, quand j'écris un article critique sur Syriza, en considérant qu'il se transforme en nouveau Pasok, cela a une influence moindre que si c'est Lordon qui l'affirme. Et ce pour plusieurs raisons (lectorat, expérience, médiatisation, etc.). Puis, point de désaccord avec Lordon, cet emprunt du pouvoir de la part de la multitude pour un individu influent me semble tiré par les cheveux. C'est davantage une expropriation de l'influent, qui se transforme ainsi en exploiteur, et qui compte le rester ad vitam aeternam. C'est d'ailleurs en cela que les révolutionnaires libéraux de 1789 puis certains monarchistes rejoignirent Voltaire qui affirmait ceci: "Une société bien organisée est celle où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne."

Néanmoins, en évoquant les sociologues Émile Durkheim et Marcel Mauss, Lordon affirme que le corps social est un tout qui apporte davantage pour la société que "la somme des parties", tordant le cou à l'individualisme, qui est la traduction sociologique du libéralisme économique. Ça indique combien la lutte des classes, concept central chez Marx, reste d'actualité.

La Nation, un rempart

Toujours sur la question de l'imperium, Lordon insiste sur l'idée que ce concept implique une acception générale, non individuelle de telle ou telle chose, sans que ce soit totalitaire. L'exemple typique selon lui, c'est la monnaie. Elle est basée sur la confiance, or ça nécessite un consentement mutuel, général du corps social. Et c'est le cas. L'ordre social joue à plein sur la monnaie. Cependant, il existe des pôles de sédition, avec les monnaies locales qui circulent en même temps que la devise nationale.

Maintenant, j'aimerais évoquer une des idées directrices chez Lordon ces dernières années, et qu'il répète dans son dernier livre, c'est la Nation, dans un sens proche que l'entendaient les révolutionnaires de 1789 (ou plutôt 1793). Pour lui, c'est un rempart vu la construction de l'Union européenne, telle qu'elle est. C'est-à-dire, une zone néolibérale, anti-démocratique, qui a tendance à détruire tout élément de protection de la classe dominée sans qu'elle soit consultée en raison des traités, avec un euro qui empoisonne à petit feu la gauche radicale. L'exemple de Syriza au pouvoir en Grèce est saisissant à ce propos. Il en profite ainsi pour tacler l'internationalisme "mal-pensé" de la part de certains de ses amis économistes de gauche, estimant notamment que les marxistes-engelsistes (je préfère ce néologisme que seulement le terme "marxistes") s'étaient lourdement trompés sur le patriotisme des prolétaires en 14-18, ne manquant pas de montrer des ambiguïtés futures des socialistes ou des communistes.

Du coup, ce rempart contre le néolibéralisme mérite d'être renforcé par un front commun des forces de gauche en Europe selon Lordon. Il prend pour exemple l'Écosse. Malgré le non à l'indépendance en septembre 2014, les indépendantistes écossais n'en démordent pas car ils représentent la région la plus à gauche (et la plus europhile) du Royaume-Uni, voire même étaient encore un parti plus à gauche que le Parti travailliste, mais l'élection de Jeremy Corbyn pourrait changer la donne. Mais Lordon n'est pas anti-européen. Son dernier billet de blog dans Le Monde Diplomatique (cf lien ci-dessous) montre combien il est attaché à l'idée européenne, mais sans nécessité de l'euro comme monnaie unique, rappelant des réussites européennes réalisées antérieurement à l'euro, telles Airbus pour les avions, Ariane pour les fusées, ou encore Erasmus pour les étudiants. Toujours est-il qu'à l'heure actuelle, l'État-nation est bien plus consistant que l'espace continental pour pouvoir mener une politique de gauche, changer le cadre économique et social, puis enfin remodeler une Europe avec un nouvel euro, transformé en monnaie commune et sous contrôle démocratique. C'est cela son plan C, si on l'interprète ainsi. Une sortie de gauche de l'euro actuel est une question de survie politique. Ce plan C, pour qu'il marche, doit réunir plusieurs conditions qui sont loin d'être une évidence aujourd'hui.

Affects écolos et raciaux derrière?

Un des termes fréquemment utilisés par Lordon dans son livre est l'affect. Ça fait écho aux termes sentiment, émotion, etc. Donc, pas forcément capable de donner une hauteur de vue. Or, pour Lordon, ressentir des affects pousse à la recherche d'idées, affichant un soutien mutuel, et ainsi, cela devient un champ important pour le corps social. Pour en convaincre son auditoire, Lordon prend l'exemple du changement climatique. Il considère que l'idée pure est parfaitement juste mais qu'elle "manque de force" dans nos sociétés capitalistes, où on ne s'émeut guère des conséquences néfastes du climat à l'échelle globale. Mais d'autres pays, qui subissent de plein fouet ces conséquences comme aux Seychelles par exemple, sont déjà dans l'alerte et l'action. Et comme la conférence sur le climat aura lieu à Paris début décembre, on en parle davantage dans les médias. Du coup, Lordon déclare être sensible aux discours des tenants de la décroissance, car ils réunissent des principes écologiques, économiques et politiques sur une "refonte radicale des rapports sociaux", afin de "stopper le saccage de la planète" et les "effets de pouvoir".

Bien qu'il ait évoqué le sujet des réfugiés dans une interview à Mediapart ou France culture, si j'ai bonne mémoire, Lordon semble moins sensible à l'affect racial, néocolonial, dans lequel les racisés (non-blancs) subissent un "racisme institutionnel", théorisé par Stokely Carmichael, qui les met dans la peau de boucs-émissaires en cas de crise. Et c'est dommage, selon moi, qu'il y aurait moins d'importance de sa part sur ce sujet (j'écris bien au conditionnel car il n'y a pas non plus de certitude). Toujours est-il qu'avec l'intersectionnalité, que j'ai déjà évoqué à plusieurs reprises, les luttes (de classe, raciales, écologiques) ont des éléments en commun et qu'elles peuvent construire une alternative où la multitude exprimerait sa puissance, face à une classe dominante néocoloniale qui tue sans le moindre scrupule.

Bref, Frédéric Lordon est un intellectuel estimable et précieux, qui montre à quel point une pensée alternative tient encore la route.

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