À l'approche du troisième anniversaire de l'attaque terroriste dans la rédaction du journal satirique, des personnalités politiques, médiatiques et intellectuelles se mettent en alerte pour affirmer que l'esprit Charlie, ou esprit du 11 janvier 2015, est moins vivace. Il faut dire qu'elles y contribuent, à travers un racisme latent dans les institutions (ou structures) qu'elles représentent, montrant combien la liberté qu'elles vantent est une illusion à l'heure actuelle.
"Toujours Charlie", c'est le slogan affiché ces dernières semaines par plusieurs personnalités, qui vont se réunir ce samedi 6 janvier aux Folies Bergères, à Paris, à la veille du troisième anniversaire de l'attaque contre la rédaction de Charlie Hebdo, faisant une douzaine de morts, et notamment des membres de la rédaction comme Charb, Cabu, Tignous, Georges Wolinski ou encore Bernard Maris. L'événement, organisé par le Printemps républicain de Laurent Bouvet, accueille comme invités l'essayiste Caroline Fourest, le (pseudo-)philosophe Alain Finkielkraut, les philosophes Raphaël Enthoven et Élisabeth Badinter, ou encore les journalistes Ruth Elkrief, Anne Sinclair, Nathalie Saint-Cricq ou Renaud Dély.
Sacralisation de l'esprit Charlie
Vu le parterre de personnes présentes, dont il faut ajouter le nom de Gilles Clavreul, ancien directeur de la Dilcra, ou d'Inna Shevchenko, fondatrice du mouvement des Femen, c'est signe que le mainstream bien-pensant, néolibéral, tient à rendre hommage à des personnes mortes pour leurs idées face à la barbarie terroriste. Et comme des Charb, des Cabu ou Maris se revendiquaient de gauche radicale, voire même une dose d'anarchisme, ils auraient de quoi se retourner dans leur tombe tant leur journal a été sacralisé, contrairement au principe "Ni Dieu ni Maître" dont ils avaient l'air de se revendiquer de leur vivant.
Cette sacralisation de l'esprit Charlie est d'autant plus saugrenue que cet hebdomadaire, qui se revendiquait comme athée, avait quand même une fâcheuse coutume de parler de religion. D'aucuns diront que c'est minoritaire dans le traitement informatif, mais pour un journal qui nie l'existence de Dieu et vocifère contre ce qui renvoie à lui, il aime quand même en parler, au lieu de se concentrer sur l'homme et la femmes et ses conditions matérielles d'existence. Après tout, si ça se dit athée, ça devrait être matérialiste, au sens philosophique du terme. En tout cas, cette sacralisation s'accompagne d'une droitisation du journal, qui fait de plus en plus dans le frontal envers les Français de confession musulmane, et les Français non-blancs en général, alimentant un discours politique nauséabond, incarné par l'ancien Premier ministre Manuel Valls par exemple, avec ses propos dans la presse espagnole au sujet d'un "problème musulman" en France. Après tout, Riss, actuel directeur de la rédaction de Charlie Hebdo, n'a-t-il écrit un éditorial où il considérait que l'ensemble des français de confession musulmane seraient associés au terrorisme? (cf vidéo ci-dessous)
Liberté partielle
Ce rassemblement parisien en hommage à Charlie Hebdo se fait au nom de la liberté d'expression, notamment dans la caricature ou le choix d'images pouvant faire rire. Mais cette liberté, comme d'autres, n'est liée qu'au capital qu'on possède. Par conséquent, la liberté d'expression n'est pas pour tous, surtout si ça vise des personnalités. Valls, qui se gausse de défendre la liberté d'expression, en dépit des lois liberticides votées ces dernières années comme la loi renseignement, n'a pas apprécié d'être l'illustration d'un article du journal Les Inrockuptibles traitant des risques de l'alcool au niveau génétique. Bref, on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui. Surtout pas avec un serviteur zélé du Capital. De même qu'il y a quelques mois, Charlie Hebdo n'a pas supporté l'opposition que lui menait Mediapart, accusant ce dernier, et son directeur, Edwy Plenel, d'être complice de Tariq Ramadan et, par ricochet, de l'intégrisme musulman en France.
Parallèlement, un événement qui se déroule le même jour, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) a fait polémique car des militants comme Sonya Nour et Abdelaziz Chaambi ont été pris pour cible par la fachosphère sur les réseaux sociaux, relayée ensuite par la presse mainstream, poussant les organisateurs à ne pas les inviter. Signe, encore une fois, que la liberté, sans l'égalité, n'est qu'une illusion, et que la liberté est, je me répète, liée au capital (économique, social, culturel, symbolique) développé.
Ce qui est frappant, c'est que la parole raciste a pleinement droit de cité ces dernières années, et que le mouvement antiraciste moral des années 1980, avec SOS Racisme, plus des journaux comme Charlie Hebdo ou Marianne, craignent davantage les mouvements antiracistes autonomes, organisés par les personnes directement victimes, et des personnalités non-blanches comme Rokhaya Diallo ou Houria Bouteldja, qui développeraient un racisme anti-blanc, que le racisme développé par des blancs dans des institutions qui les protègent, comme l'Académie française avec Finkielkraut, et le communautarisme blanc qui fait office de tyrannie de la majorité. Et pour le coup, ça réunit des personnes allant de l'extrême-droite à l'extrême-gauche et dans ce dernier cas, ça illustre ce que Aimé Césaire appelle le fraternalisme, c'est-à-dire, la condescendance d'une personne blanche de gauche, se prenant pour le grand frère, indiquant à son petit frère non-blanc le chemin où "il sait se trouver la Raison et le Progrès".
Pour conclure, cet événement permet de donner, quelque part, raison à Stokely Carmichael, ancien membre des Black Panthers, qui disait ceci: "Le racisme n'est pas une question d'attitude. C'est une question de pouvoir".