L'abstention record pour le premier tour des élections régionales et départementales met en lumière la déconnexion entre une classe politique obsédée par l'élection présidentielle ou des thématiques sécuritaires, face à des citoyen(ne)s fatigué(e)s par une crise sanitaire qu'ils paient de plein fouet.
Le premier parti de France est le parti de l'abstention. C'est coutumier de le dire depuis plusieurs années, mais la proportion observée dimanche 20 juin, à l'issue du premier tour des élections régionales et départementales est tout bonnement inédite. Environ deux tiers des électeurs ne sont pas venus voter (cf lien n°1). C'est un record dans l'histoire de la Ve République a-démocratique! Et si pendant longtemps, l'abstention a bénéficié au Front national (pardon, Rassemblement national), le parti de la famille Le Pen a vu une moindre mobilisation de son électorat potentiel, notamment au sein du prolétariat, qui a préféré s'abstenir par rapport aux régionales de décembre 2015, inscrites dans le contexte des attentats du 13 novembre 2015 soit dit en passant. Cela sanctionne quelque part l'institutionnalisation médiatique du parti d'extrême-droite, bien qu'il reste en mesure d'accroitre son nombre de conseillers régionaux et départementaux. En parallèle, la République en marche essuie un échec cuisant, notamment dans les Hauts-de-France, où plusieurs ministres étaient candidats et que la liste du parti d'Emmanuel Macron fait moins de 10% des voix, seuil minimal pour se maintenir au second tour. Enfin, la prime aux présidents sortants profite aux Républicains et au Parti socialiste, les deux partis traditionnels pouvant s'estimer sauvés par leur ancrage local.
Déconnexion complète
Mais bon, contrairement à certains Républicains - Éric Woerth, Christian Jacob - qui fanfaronnaient sur les plateaux télés en voyant leur parti en tête, il y a de quoi affirmer que l'ensemble de la classe politique a été boudé. Mieux, ce genre d'attitude triomphaliste - pour les nuls! - est symptomatique d'une déconnexion complète entre la classe politique et les citoyens. La première n'a cessé de penser à l'élection présidentielle, prévue l'an prochain, en développant des thématiques sécuritaires ainsi qu'une chasse envers le spectre de l'islamo-gauchisme sur les derniers mois écoulés, tandis que les seconds, subissant pleinement les effets divers et variés (sanitaire, économique, social, mental, etc.) de la crise liée au Coronavirus depuis plus d'un an, avec les multiples confinements et couvre-feux dont on commence à peine d'en finir de vivre avec depuis peu.
Ce qui fait que la question même des compétences des régions et départements, et par conséquent l'offre politique qui était en lien avec ces compétences en question (gestion des collèges et lycées, financement de transports en commun, soutien aux innovations tournées vers une industrie durable et moins énergivore, gestion des minimas sociaux comme le RSA, etc.) est passée au second plan tant les politicien(ne)s n'ont pas osé mettre ceci en avant. Qu'ils ne viennent pas chouiner sur le manque d'électeurs aux urnes et que les mass media ne cherchent pas à faire culpabiliser les abstentionnistes, tel l'âne de la fable de La Fontaine "Les animaux malades de la peste" car les journalistes de salon ont tout fait pour ne pas inciter à voter en suivant sans discernement et déconnexion les discussions politiciennes qui intéressent un petit noyau de personnes. Et le moment de lucidité du journaliste de France 2 Laurent Delahousse face à la cacophonie des politicien(ne)s invité(e)s sur le plateau durant la soirée électorale, ou sur le comportement des mass media, dont il fait partie, fait quand même un peu de bien.
Et si la gestion des professions de foi des candidats a été pour le moins calamiteuse (cf lien n°2), sans oublier des bureaux de vote ouvrant en retard comme du côté de Marseille (cf lien n°3), cela reste des explications minimes et de court terme par rapport à l'abstention observée.
Mais en fait, qui a snobé ces élections? Les premiers éléments de réponse observés démontrent une hausse générale dans toutes les classes d'âge ou classes sociales. Néanmoins, c'est bien plus manifeste dans la jeunesse, où 87% des 18-24 ans se sont abstenus, de même que 83% des 25-34 ans (cf image), et dans le prolétariat, avec 72% d'abstention au sein de la classe laborieuse (cf lien n°4).
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Ce qui signifie ceci: les plus vieux et les bourgeois se sont (relativement) moins abstenus car ils pèsent davantage politiquement. D'où le fait que les partis classiques (LR/PS) font de la résistance. Ce qui illustre, malgré tout, le concept de cens caché, développé par le politologue Daniel Gaxie au sujet de la montée de l'abstention depuis les années 1980 en France, expliqué par une professionnalisation de la vie politique bénéficiant aux personnes ayant un capital culturel et financier élevé, en raison de longues études et que les prolétaires ne sont guère plus en mesure de pouvoir militer et encore diriger un parti politique, comme ce pouvait être le cas pour le Parti communiste français naguère, mais ce dernier a préféré la lutte des places, dépendant notamment du PS, à la lutte des classes.
Et cette tendance lourde à l'abstention massive souligne combien cette Ve République est vraiment lassante et que soit, les partis politiques modifient leur offre électorale tout en voulant se maintenir sous ce régime présidentiel, soit envoyer la Ve République à la retraite pour mettre en place une VIe République parlementaire, démocratique et pourquoi pas sociale.
Abstention : l'explication par Adrexo - Par Daniel Schneidermann | Arrêt sur images
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