En préparation à la marche de la dignité et contre le racisme, prévue le 31 octobre prochain, certains organisateurs ont tenu à faire une réunion de préparation, afin d'expliquer leur démarche et leur ressenti sur la France actuelle, ou du moins le racisme institutionnel qui s'observe dans les institutions de la République.
Le meeting de la dignité, à la bourse du travail de Saint-Denis, me faisait davantage plaisir que le meeting du PS sur les réfugiés au Cirque d'hiver en septembre dernier. Et pour cause, l'auditoire, ainsi que les intervenants, était majoritairement composé d'afro-descendants (Maghreb+Afrique subsaharienne, pas de distinction géographiquement parlant). Il y avait donc, en minorité, des blancs, pour dire clairement les choses, mais ils écoutaient ce que les personnes à l'initiative de la Marche de la dignité et contre le racisme ont dans la tête et dans le cœur à exprimer.
"La dignité est un principe non-négociable"
Le ton a été vite donné par la première intervenante, Sihame Assbague, pour mettre sur le banc des accusés l'État, qui pratique un racisme institutionnel, qui trouve sa plus sinistre expression dans la police, la justice. Ce qui me fait penser à cette phrase prononcée par l'écrivain Victor Hugo peu avant le Coup d'État du 2 décembre 1851, transformée en slogan chez les anarchistes: "Police partout, justice nulle part." Cet État, selon elle, promeut l'islamophobie, la négrophobie, la romophobie. Et comme il sert ces dernières décennies la classe dominante, représentée quasi-exclusivement par des blancs, on peut conclure à une inégalité structurelle et durable en fonction de la couleur de peau. Bref, à un apartheid qui ne dit pas son nom car les possédants et leurs alliés politiques (Valls, Sarkozy, Morano, Hollande, etc.), religieux et "intellectuels" (Onfray, Finkielkraut, BHL, Fourest, etc.), sont des Tartuffe à grande échelle. Une chose est sûre, "Nos vies valent autant que celles de ceux qui ont le pouvoir, des puissants" et qu'il ne faut plus jamais se contenter d'une condamnation morale - via SOS Racisme, la LICRA ou le MRAP - de la parole raciste, qui s'est décomplexée dans l'hexagone.
C'est une des motivations de cette marche. Elle pourrait se résumer à envoyer paître le dominant, qui entend maîtriser et faire accepter son agenda aux dominés, comme lorsqu'Aimé Césaire déclara à un passant blanc qui le dénigrait: "Le petit nègre t'emmerde!" Mais il ne s'agit pas de ça. C'est bien plus noble qu'un sursaut d'orgueil. C'est une démonstration de force collective, face à l'individualisme promu dans le mode de production capitaliste, afin de rester debout, droit dans ses bottes en fixant l'horizon, d'un pas sûr et léger. Et comme l'exprime la sociologue Hanane Karimi: "La dignité est un principe non-négociable". Et c'est un rappel de ce qui est enseigné par l'école républicaine. Cette même école qui est dominée par les bien-pensants, notamment en histoire, avec une fermeture d'esprit qui a pour objectif d'aliéner les futurs citoyens. Bref, Jules Ferry, le Falloux laïc, est de retour dans une France post-7 janvier qui a encore du mal à regarder son passé (cf lien)!
Récupération? Non merci
Les intentions étant posées, reste à savoir si l'autonomie revendiquée par les organisateurs pourra tenir face à d'éventuelles récupérations, qu'elles soient d'extrême-gauche ou d'extrême-droite. Et c'est cette dernière qui revient à la bouche, notamment au sujet de la question palestinienne et israélienne. Le militant associatif Omar Slaouti, qui fonde beaucoup d'espoirs sur la marche du 31 octobre car il y a un cadre clair selon lui qui n'est pas fermé à d'autres communautés, affirme un rejet total de Soral et Dieudonné, si jamais certains médias seraient tentés de faire un amalgame sur ce point, pour favoriser une récupération fallacieuse.
Ce son de cloche est répété par le Parti des indigènes de la république (PIR) et le rappeur Médine. Le PIR, par la voix de Youssef Boussoumah, tout comme Médine, condamne à l'avance toute tentative de récupération par le duo Soral-Dieudonné, considéré comme des antisémites au vu de leur proximité avec l'extrême-droite, permettant au PIR et à Médine de préciser leur positionnement antisioniste, cette subtile différence que certains extrémistes israéliens veulent faire croire que c'est de l'antisémitisme masqué, étant donné que tant ce parti que le rappeur ont souvent créé la polémique dans plusieurs médias "mainstream", en les rangeant comme antisémites, terroristes, etc. Bref, des infréquentables. Est-ce véridique? Ce sera à vous d'en juger, chers lecteurs et pas à moi seul, en essayant de tout lire sur eux et d'écouter leurs propos pour vous faire une idée plus précise. D'autant plus que Médine, par exemple, a évoqué son opposition absolue à la récupération qu'organisent des intégristes religieux pour attirer la jeunesse vers eux.
"Il faut ré-humaniser"
L'une des intervenantes que j'attendais le plus est l'historienne Maboula Soumahoro. Je n'ai pas été déçu. Elle a vite donné son tempo en dévisageant Nadine Morano et ses propos tenus dans l'émission "On n'est pas couché", la comparant à l'états-unienne Sarah Palin, ancienne candidate à la vice-présidence en 2008. Occasion de rappeler à l'auditoire l'hypocrisie de la droite française et de son meneur, l'ex-président Nicolas Sarkozy, qui condamne Morano à ne pas se représenter aux régionales pour ses propos, alors que lui avait déclaré en 2007, dans un discours à Dakar: "l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire." Mais bon, il doit se dire qu'il "ne faut jamais prendre les gens pour des cons mais il ne faut pas oublier qu'ils le sont", comme tous les bien-pensants de son espèce. Durant son passage à la tribune, l'historienne souligne combien les possédants déshumanisent leurs proies, en les rangeant dans des cases pour qu'elles évitent d'en sortir et que le 31 octobre doit être un moment pour ré-humaniser les esprits, les consciences, racisées ou non-racisées, profitant au passage pour indiquer que "l'intersectionnalité n'est pas un mythe", que les luttes des immigrés, les luttes anti-racistes, les luttes anti-impérialistes s'imbriquent avec la lutte des classes, se renforçant mutuellement quand tous les bords de victimes du mode de production capitaliste se regroupent face à un ennemi commun.
Communautarisme: et au-delà?
Voici la partie du meeting où je me pose des questions, où une partie critique demeure dans mon esprit. L'artiste Bams développe une approche communautariste, dans le sens où il faut rassembler les racisés à travers différents canaux (création de médias, mise en avant de l'histoire esclavagiste et coloniale, etc.). Et comme elle a subi de près les crocs des dominants blancs au moment de l'exposition Exhibit B de Brett Bailey, défendue par ces derniers, ça reste une expérience révélatrice du racisme institutionnel jusque dans la culture, censée être neutre, mais bien entendu, rien n'est neutre dans la vie actuelle. Et d'ailleurs, je rappelle combien le fraternalisme de la gauche radicale sur cette affaire lui a apporté du discrédit, parfaitement justifié, envers les Afro-descendants.
Bien que je considère que vouloir faire un communautarisme semblable à celui des blancs est potentiellement contre-productif à une certaine échéance, devenant le cas échéant une farce extrême de la part des dominants, comme je l'ai déjà écrit par le passé; ça aurait le mérite de démasquer ces derniers. Comme l'explique Samir Miles, un activiste rom: "le communautarisme est un privilège blanc". Et par blanc, il faut entendre que ce n'est pas sur la question de la couleur de peau, mais sur la question d'un état d'esprit assimilé ou pas. Un rom, qui est un blanc en fait, n'est pas rangé dans ce communautarisme-là, mais un non-blanc peut y figurer. Pour donner des exemples, il y a les pays du Golfe, notamment le Qatar, à qui la classe dominante occidentale fait les yeux doux et s'entend sur l'essentiel, i.e, exploiter et aliéner les esprits. Ou encore, des bountys (noirs dehors, blancs dedans) qui ne remuent pas le petit doigt quand des Afro-descendants se font tirer dessus. C'est le cas du président états-unien Barack Obama. Finalement, en réfléchissant, l'idée d'un communautarisme racisé, défensif, est semblable à la défense de l'État-nation que fait l'économiste Frédéric Lordon. Il faut se baser là-dessus, tant que les conditions ne sont pas réunies pour aller au-delà du stade actuel. Pour le communautarisme, cela signifierait que cet "entre-nous" est valable tant que l'entre-nous prolétarien blanc, ne renoue pas véritablement avec le "nous tous". Pour l'instant, il fait la sourde oreille à l'entre-nous communautariste racisé et à ses critiques du capitalisme, qui sont pourtant communes (dénonciation du néocolonialisme), permettant la base d'un nous tous communiste, réveillant le spectre de l'internationalisme.
Marcher pour le Congo-Zaïre
Un bémol me vient à l'esprit dans ce meeting pourtant très bien mené. C'est que la question palestinienne a droit d'expression, mais pas d'autres. Attention, ceux qui voudraient me faire dire que ce sujet n'est pas important à traiter, c'est un contresens de leur part, car j'ai suffisamment écrit sur la Palestine et Israël pour avoir un positionnement sur une lutte qu'on peut estimer juste de la part de nombreux palestiniens, puis on m'a reproché par d'autres (israéliens conservateurs) d'écrire "des torchons anti-Israël" par le passé. Je suis vacciné de ce côté-là.
Personnellement, j'aurais aimé entendre des intervenants sur la question Congo-zaïroise, à défaut de pouvoir être un des orateurs d'hier soir, vu mon manque de notoriété. D'ailleurs, il tient principalement à moi d'y remédier, mais aussi à vous, chers lecteurs, de relayer certains articles qui peuvent me tenir à cœur. Et la situation de la République démocratique du Congo en fait partie. D'autant plus qu'elle est peu médiatisée alors que les congo-zaïrois(es) luttent pour leur dignité, bafouée par l'esclavage et ses dégâts économiques, la colonisation belge et l'aliénation religieuse qui en suivit, et le néocolonialisme sauvage - plus de 6 millions de morts depuis le génocide tutsi au Rwanda voisin -, en raison du pillage des richesses minières de ce pays, où le viol devient une arme de guerre envers les femmes congolaises, notamment à l'Est (provinces du Nord-Kivu et Sud-Kivu). Quitte à jouer les rabat-joie, mais parmi les noms prestigieux cités par les orateurs, à Saint-Denis, il manquait Patrice Lumumba. C'est d'autant plus surprenant que l'indépendantiste congolais pointait du doigt en son temps la nécessité pour les Africains, et au-delà, les Afro-descendants, de démontrer leur dignité.
Toujours est-il que je marcherai le 31 octobre prochain, de Barbès à Bastille. J'espère que vous en ferez autant, chers lecteurs!
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