L'obsession de l'élection présidentielle plus le remaniement ministériel illustrent une gauche française dans un état assez désarmant, sur plusieurs domaines, économiques et sociaux notamment.
Du Parti socialiste (PS) au Front de gauche (FG), l'élection présidentielle de 2017 est dans toutes les têtes. D'ailleurs, certains n'ont pas hésité à lancer leur candidature, comme Bastien Faudot pour le Mouvement républicain et citoyen (MRC), l'ancien parti de Jean-Pierre Chevènement, suivi peu après de l'annonce de candidature de Jean-Luc Mélenchon, surprenant ses partenaires du FG. Ces deux candidatures remettent profondément en cause l'idée de primaires à gauche, qui s'était développé en ce début d'année 2016. En tout cas, selon certains politologues ou politiciens, la mise en avant de Faudot et de Mélenchon arrange (un peu) le président François Hollande, réticent à l'idée de primaires, tout en laissant poindre une inquiétude de voir de multiples candidatures, obligeant l'état-major du PS à jouer sur le cauchemar du 21 avril 2002 (élimination de Lionel Jospin au premier tour).
Torpiller toute sécession
Le meilleur moyen trouvé du côté de l'Élysée et de Matignon pour tuer la poule dans l'œuf a été le remaniement du jeudi 11 février. Avec un objectif clair pour Hollande et Manuel Valls: torpiller Europe écologie-les Verts (EELV). Une réussite puisque la principal prise de guerre a été la nomination d'Emmanuelle Cosse en tant que ministre du Logement, ainsi que l'arrivée de Barbara Pompili et Jean-Vincent Placé comme secrétaires d'État, eux qui desséchaient d'entrer au gouvernement après avoir quitté EELV dans les derniers mois de l'année 2015.
De nouveau, le parti écologiste se retrouve dans un marasme abyssal, car Cosse fut virée du parti par sa participation au gouvernement, et ses désormais anciens camarades de parti ont la dent dure. Parmi eux, le député Noël Mamère, considérant que ces trois écolos-là "sont montés sur le Titanic et qu'ils vont regarder le prochain iceberg avec beaucoup de perspicacité" et qu'ils sont des "âmes perdues". Il n'est pas le seul à être consterné par ce cynisme de Cosse, Pompili et Placé, doublé d'un manque de cohérence qui punira électoralement les écologistes français.
Déchéance politique
Dans un contexte de débat sur une réforme de la Constitution voulue par Hollande, avec l'institutionnalisation de l'État d'urgence et de la déchéance de nationalité, ce re(ma)niement traduit une déchéance politique lourde de la part du gouvernement. L'État d'urgence, qui a été de nouveau prolongé mardi 16 février, devient de moins en moins légitime pour une partie de la population car il sert juste à orienter les esprits ailleurs, ainsi que d'empêcher l'affichage de revendications ou d'oppositions dans l'espace public. Et l'extension de la déchéance de nationalité, à inscrire dans la Constitution, est une preuve supplémentaire de l'ignorance historique de la part des élus de la Ve République (majorité et opposition), alors que pour des situations quasi similaires, les élus de la Convention, et même ceux de la Chambre introuvable n'étaient pas arrivés à faire de la suspicion de masse; au contraire, un ciblage précis fut élaboré par eux, selon le contexte de l'époque.
Cette déchéance politique du PS, dominé par des Thermidoriens, se prolonge au niveau économique. Au conseil des ministres, mercredi 17 février, Myriam El Khomri, ministre du Travail, a présenté son projet de loi sur le code du travail et le prolongement de la réforme de l'activité économique, dite "loi Macron". Ce projet contient l'idée de prolonger la durée maximale de travail hebdomadaire à 60 heures, avec seulement un accord de l'entreprise; un plafonnement des indemnités prud'homales ou encore des accords par référendum (cf lien n°1). Bref, une remise en cause des 35h, saluée par le ministre de l'Économie, Emmanuel Macron, alors que ça s'inscrit à rebours de la tendance historique du mode de production capitaliste, à savoir, la réduction du temps de travail en raison des gains de productivité. Et dire que 2016 correspond au 80e anniversaire du Front Populaire, introduisant la semaine de 40h et les congés payés par le socialiste Léon Blum. Il doit se retourner dans sa tombe!
Changement de forme, pas de fond
Devant un tel spectacle à gauche, où l'année 2015 n'a toujours pas été digérée, il est tentant d'écrire que ça fait "du neuf avec du vieux", au niveau générationnel notamment. Pourquoi? Du côté du gouvernement, de jeunes ministres (Macron et El Khomri ont tous deux 38 ans) tiennent à relancer des idées social-libérales (pour ne pas dire libérales tout court) en vogue depuis 40 ans et qu'un Hollande, ayant dépassé les 60 ans, attend le moment propice pour vouloir être candidat en 2017. Du côté de l'opposition de gauche, Faudot est de la même génération que Macron et El Khomri, tandis que Mélenchon, de la génération de Hollande, se relance dans la campagne présidentielle, s'inspirant du candidat à la primaire démocrate aux États-Unis, Bernie Sanders.
Si on peut remarquer des changements sur la forme, un fond reste semblable. L'incapacité pour les partis qui se réclament du socialisme de parler au nom du prolétariat. Pourquoi? Parce qu'ils ressemblent de moins en moins à ce dit prolétariat! En effet, les cadres de partis politiques, même s'ils rajeunissent, restent très marqués par un élitisme exclusif socialement par nature, ainsi qu'ultra-majoritairement blancs et que durant les dernières décennies, la classe sociale la moins favorisée paye le prix fort de la modernisation de l'économie puis est devenue plus "racisée". Ce qui montre, malgré tout, un certain apartheid en France, que beaucoup de bien-pensants (y compris à gauche) n'osent pas regarder en face.
Pis, ces partis, leurs cadres et leurs militants en ont oublié leurs classiques. Fâcheux de leur part d'oublier Karl Marx sur la question du chômage par exemple; fâcheux de lâcher la pensée de Jean Jaurès, avec des convictions internationalistes; fâcheux d'ignorer des intellectuels non-blancs tels C.L.R James, Frantz Fanon, Aimé Césaire ou encore Samir Amin, articulant les revendications des "racisés" avec la lutte des classes ou développant un socle anti-impérialiste fort utile aujourd'hui. Tant que ces auteurs qui ont travaillé pour fournir des pistes pour s'acheminer vers l'égalité (valeur devenue obsolète, faut croire) sont mis de côté, la gauche française (mais pas seulement) restera dans un tel flou qu'elle se transformera en une espèce en voie de disparition.
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http://www.politis.fr/articles/2016/02/edito-video-pietre-comedie-34150/
L'élection présidentielle a ceci de merveilleux qu'elle conduit les candidats à dire "moi", à penser "moi", à être "moi". A la fin de la première semaine de campagne électorale, il y a donc...
http://www.huffingtonpost.fr/bastien-faudot/hollande-melenchon-et-moi_b_9252852.html